Par Mauro Pimentel, avec Lucía Lacurcia
Fernando Araujo ressent la brise marine sur son visage tandis qu'il tient la barre d'un voilier sur la baie de Rio de Janeiro. Le skipper d'un jour garde le cap, même s'il ne voit rien du paysage qui l'entoure. « C'est un aveugle qui pilote ! », lance-t-il en souriant aux autres membres de l'équipage du monocoque de 40 pieds (12,19 mètres), composé de quatre autres personnes avec un handicap visuel ou auditif, accompagnées de moniteurs.
Formation intensive de 3 jours
Le groupe a suivi une formation intensive de trois jours dans un port de plaisance face au Pain de Sucre. Une préparation indispensable avant cette première sortie dans la baie de Guanabara, qui avait accueilli les épreuves de voile des JO de Rio 2016. « C'est une expérience très différente, je ne me serais jamais imaginé à la barre d'un bateau », confie Fernando Araujo, 31 ans. « Il arrive souvent que les personnes handicapées se retrouvent isolées chez elles, sans vouloir tenter de nouvelles choses. Moi, j'aime les sports extrêmes, donc ça m'a aussitôt séduit », poursuit cet aveugle de naissance, adepte de skate.
Quand les autres sens guident la navigation
Grâce à la plus grande acuité de ses autres sens, il perçoit clairement les vibrations du voilier sous ses pieds et la direction du vent. « Mes facultés sensorielles m'ont permis de bien tenir le cap », résume-t-il avec fierté. « Cette sensibilité est surprenante. Réussir à diriger un bateau de cette taille et à garder le cap au millimètre près, c'est vraiment spécial », affirme Juliana Poncioni Mota, directrice de l'organisation Nas Marés (Dans les marées), qui porte le projet « Navegando com sentido » (Naviguer avec sens).
Un projet d'inclusion en mer
Ce programme propose des ateliers de voile pour personnes handicapées ainsi que des formations sur les pratiques inclusives. Juliana Poncioni Mota, ancienne sportive de haut niveau, a eu l'idée du projet après une sortie en mer : « Regarde comme c'est beau », avait-elle dit à un jeune aveugle de 13 ans. « Cela m'a amenée à repenser ma façon de m'exprimer et de décrire ce que je vois », se souvient-elle.
Une loi sur l'inclusion pour un meilleur accès aux loisirs
Le Brésil compte 6,5 millions de personnes déficientes visuelles et 2,3 millions déficientes auditives. Une loi sur l'inclusion, votée en 2015, garantit l'accès aux loisirs et aux activités sportives. « Je suis né malvoyant et je me rends compte que depuis dix ans les choses sont bien plus faciles pour nous qu'il y a 30 ans », souligne Eduardo Soares, professeur d'éducation physique et alpiniste, venu de Sao Paulo pour participer à l'atelier.
Ressentir la mer autrement
Les moniteurs donnent sans cesse des explications, décrivant précisément gouvernail, mât, bôme ou voiles. Le toucher joue un rôle central : chaque élément est palpé par les aveugles et malvoyants, tandis que les instructions sont traduites en langue des signes. « Bâbord, tribord... Tout est dans le ressenti », explique Rodrigo Machado, 45 ans, ex-nageur paralympique non-voyant qui découvre la voile. « Si tu ne vois pas, il faut utiliser ce ressenti, comme dans la vie quotidienne, quand on marche dans la rue et qu'on tente d'éviter les obstacles », insiste-t-il.
Toucher les baleines à bosse
Les participants touchent aussi une maquette du voilier et un modèle réduit d'une baleine à bosse, espèce que l'on peut croiser dans la baie entre juin et août. Le voilier est équipé de micros sous-marins permettant d'entendre leurs chants. Aucune baleine n'a été repérée ce jour-là, mais d'autres sorties sont prévues très prochainement.
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