Par Delphine Touitou
Que peut-il se passer dans la tête de cet enfant de trois ans confronté au meurtre de ses parents tués par un djihadiste le 13 juin 2016 à Magnanville ?
Nicole Garret-Gloanec, pédopsychiatre : Pour un enfant, être spectateur d'une violence subie par une autre personne est profondément traumatisant. Les études sur les enfants assistant à des scènes de violence entre leurs parents montrent que l'impact est beaucoup plus grand qu'on ne l'imagine. Dans ce cas précis, il a sans aucun doute perçu l'extrême violence de la scène, la terreur qu'ont dû ressentir ses parents. C'est quelque chose d'innommable à la fois dans le degré de violence et dans la perception de l'acte. Le climat a dû être particulièrement terrifiant. Cet enfant a été bombardé par tout cela et il n'avait plus personne pour le protéger, lui. C'est anéantissant.
Quelle aide peut-on lui apporter ?
NGG : Il faut qu'il soit pris en charge par des personnes proches de lui. En même temps, la difficulté est que ces personnes sont sans doute elles-mêmes anéanties et sidérées par ce drame. Il faut donc d'abord aider les personnes qui vont le prendre en charge afin qu'elles ne redoublent pas la douleur de cet enfant car celui-ci va aussi ressentir leur souffrance. Elles devront être suffisamment solides pour être capables de ne pas transmettre leur propre douleur. Elles devront simplement recevoir celle de l'enfant, à son rythme. A l'inverse, ces personnes ne devront pas faire semblant d'être joyeuses ou enjouées. Elles devront être attentives, enveloppantes. Il est aussi très important que, dans une phase transitoire, cet enfant ne passe pas de main en main ; il a besoin de stabilité, d'un référent. Ceux qui voudront le prendre en charge devront le faire en toute conscience que la consolation ne viendra pas de l'extérieur mais de l'intérieur. Ils devront respecter la manière dont lui veut être consolé et s'efforcer d'être dans la continuité des parents.
Pourra-t-il surmonter ce traumatisme ?
NGG : C'est un enfant bien évidemment marqué à vie par quelque chose d'épouvantable. Pour autant, ce n'est pas forcément destructeur. Il ne deviendra pas nécessairement un enfant handicapé, névrosé ou malade. Il n'oubliera jamais mais il a besoin d'être entouré pour continuer à se développer. Le souvenir n'est pas le plus dévastateur ; c'est plutôt cette explosion de sauvagerie. A trois ans, un enfant a déjà une assise, une personnalité. Une partie de lui est déjà construite. Mais cela ne présage pas de la qualité de son développement futur même si cela ne se fait pas tout seul. Car cette horreur a créé une insécurité. Il fera sans doute des cauchemars qui reviendront à des périodes délicates de sa vie. Mais, j'insiste, cet enfant n'est pas condamné. S'il est entouré, aidé, soutenu, il construira sa vie en tenant compte de cela. Cette horreur le rendra peut-être encore plus humain.