L'impact puissant de la musique sur les personnes autistes

Depuis 28 ans, Claire Oppert, artiste soignante, pratique le violoncelle dans une visée de soins notamment auprès des personnes autistes. Quand la musique devient remède, les silences se brisent, la violence s'efface, les liens se créent. Captivant !

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Portrait de Claire Oppert posant avec son violoncelle.

« Anélia ne communiquent que par le sang. Après m'avoir griffée, elle revient vérifier que le sang a bien coulé ; mes mains portent encore les cicatrices de nos rencontres. Seule solution pour l'apaiser ? Jouer le mouvement lent de la sonate Arpeggione de Schubert. Soudain, ses hurlements se muent en chant, ses griffures en caresses », confie Claire Oppert, violoncelliste soignante. Voilà trois décennies que cette artiste de 58 ans utilise les « pouvoirs et les effets de la musique dans une visée de soins ». En mars 2025, elle participait au colloque « Autisme et musique : connaissances et perspectives »*, accompagnée de son « compagnon italien de 278 ans » (son violoncelle), vantant les bienfaits du quatrième art sur les personnes présentant ce trouble du neurodéveloppement. Une intervention passionnante qui nous a donné envie d'en savoir plus...

Handicap.fr : Comment la musique peut-elle adoucir les maux ? Quelle zone du cerveau est stimulée ?
Claire Oppert : La musique a un impact sur le traitement neuronal complet, c'est-à-dire que toutes les zones du cerveau sont stimulées, aussi bien dans le lobe frontal (lieu du raisonnement, du langage, de la parole, de la coordination motrice) que temporal (ouïe, mémoire, émotions), de même que tous les sens. De manière très vulgarisée, elle met en lien, de manière très active, les deux hémisphères du cerveau, gauche (lié notamment à la mémoire, la cognition, la parole) et droit (émotion, affection, sons), réunis par le corps calleux, qui permet le passage de l'information d'un côté à l'autre – il serait plus volumineux chez les musiciens. Résultat : le cerveau décode simultanément la mélodie et la parole, qui sont habituellement séparées. C'est assez extraordinaire !

Je tiens à souligner que j'ai appris ces mécanismes bien plus tard. Je n'ai pas eu besoin de comprendre le fonctionnement des personnes autistes, ni l'impact concret de la musique sur leur cerveau, pour pouvoir agir efficacement auprès d'eux.

H.fr : Le quatrième art favorise également la production d'hormones associées au plaisir et au bonheur...
CO : Complètement. Aussi bien la pratique que l'écoute de la musique sont des activités qui libèrent la dopamine, l'endorphine, la sérotonine... Aujourd'hui, je travaille essentiellement dans des services de soins palliatifs, ce qui m'a conduite à jouer pour 2 400 personnes en fin de vie. Les résultats de l'étude que j'ai menée auprès d'elles sont unanimes : toutes évoquent un sentiment de joie, de plaisir et de bonheur à l'écoute de mes morceaux, alors qu'elles sont en fin de vie.

H.fr : Quels impacts majeurs la musique a-t-elle spécifiquement sur les personnes autistes ?
CO : C'est l'un des vecteurs thérapeutiques les plus puissants sur les personnes autistes qui réagissent à la musique – toutes n'y sont pas sensibles. La musique a tout d'abord un impact sur la communication et l'expression, y compris de celles étant non verbales, qui représentaient la majorité des jeunes pour qui j'ai joué. Étant polymorphe, elle peut s'adapter à un contenu émotionnel complexe, superposer des sensations, contrairement au langage. Elle ouvre donc des chemins pour exprimer et recevoir des émotions diverses voire contradictoires. Par ailleurs, elle stimule le développement du langage des personnes autistes qui parlent.

H.fr : C'est aussi un vecteur de lien social.
CO : C'est même le chemin royal car elle favorise les interactions sociales non seulement avec le thérapeute musicien, les autres, la famille mais aussi avec soi-même. La musique apaise également les crises et favorise la régulation sensorielle, les personnes autistes étant extrêmement sensibles à tous les stimuli sensoriels. Elle booste également l'estime de soi. Le jeune qui frappe des mains en écoutant de la musique et pratique une activité gratifiante se sent valorisé.

H.fr : Des bénéfices sur le plan moteur ?
CO : Absolument. J'ai pu observer une amélioration de la motricité et de la coordination de nombreux jeunes avec autisme qui se

calquaient sur le rythme musical. Les stéréotypies étaient également limitées, parfois même interrompues.H.fr : Pour toutes ces raisons, vous recommandez une écoute précoce, a fortiori pour les enfants autistes. La musique classique a-t-elle des bénéfices particuliers ou tous types de musique ?
CO : Autisme ou pas, classique ou pas, la musique fait du bien. De la pop, à la variété, en passant par les musiques du monde, le rock ou encore le rap... Il revient à chacun de trouver le style qui va « détourner » l'attention de l'enfant. Beaucoup d'études démontrent les bénéfices d'une écoute même pendant la grossesse. La musique « vivante », celle qui est pratiquée en direct, – même la plus rudimentaire comme le chant de la mère ou des percussions – est particulièrement puissante car elle émet des vibrations et renforce la présence, la relation à l'autre. Contrairement à la musique « enregistrée », elle n'est jamais la même, s'adapte et se transforme. Un chant spontané permet de changer de rythme, d'intensité, de timbre, de répertoire instantanément.

H.fr : Comment avez-vous trouvé votre voie ?
CO : Le déclic s'est produit à l'issue de mon premier concert, à l'âge de 14 ans. Une femme m'a dit : « Si vous aviez été médecin, vous m'auriez guérie ». Je n'ai évidemment pas le pouvoir de « guérir » les maladies graves et terminales, pas plus que l'autisme, la démence, Alzheimer... Mais cette phrase m'a profondément marquée. Elle portait cette intuition fondatrice que la musique prend soin d'une part non malade, d'une part intacte en nous, et c'est le cœur de mon travail. J'ai toujours nourri ce rêve d'allier art et soin - mon père était médecin et artiste, jouant du piano pour ses patients, ma mère danseuse...

H.fr : C'est une seconde rencontre qui vous a permis de le réaliser...
CO : Exactement, celle avec Howard Buten à mon retour du conservatoire de Moscou (Russie), où j'ai fait mes études de violoncelle. Celui que l'on surnommait « Clown Buffo » sur scène était également psychologue spécialisé dans l'autisme, écrivain et acteur américain. Après son installation en France, il a fondé, en 1997, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, l'Institut médico-éducatif (IME) Adam Shelton dédié aux jeunes autistes sévères. Il m'a invité à le visiter, j'y suis restée sept ans. Howard, qui a été mon guide, mon mentor sur l'autisme, m'a toujours défendu d'« étudier ce trouble », d'apprendre quelconque méthode comportementale. Selon lui, mon intuition était bien plus forte que toutes les théories qui auraient pu les « scléroser ».

H.fr : Quelle était l'approche d'Howard Buten avec les personnes autistes ?
CO : Howard misait beaucoup sur l'intuition, l'empathie et l'imitation. « Il faut regarder les autistes droit dans les yeux, avec un regard si accueillant et si ouvert, sans jugement, ainsi ils ne pourront pas nous résister », me répétait-il. C'est donc notre regard qui provoque la transformation. Il disait aussi que c'était à nous « d'être à la hauteur, de nous rendre suffisamment intéressants à leurs yeux, de mériter leur attention. Ils ont forcément plein de choses à nous apprendre, même lorsque ce qu'ils font nous effare », comme des comportements violents. Il estimait aussi « qu'ils devaient être aimés pour ce qu'ils sont, et non pas pour ce qu'ils devraient être et devraient devenir ».

H.fr : Votre livre Le Pansement Schubert (éditions Denoël) rend hommage à vos innombrables auditeurs malades, handicapés ou âgés. Quelles rencontres, avec les personnes autistes, vous ont particulièrement marquée ?
CO : Je me souviens de Paul, qui, à l'écoute d'une suite de Bach, donne un violent coup de poing sur mon violoncelle et le brise. C'est évidemment dramatique pour moi mais, curieusement, je ne panique pas et change de répertoire. Ce jeune homme de 15 ans qui n'avait jamais établi de contact visuel, m'a ensuite regardé durant de longues minutes, tout en posant sa main sur la fracture.

David, 18 ans, 110 kilos, ne marchait jamais, se recroquevillait sur lui-même et avait des trous à la place des oreilles, comme si le silence qu'il voulait instaurer avec le monde était devenu organique. Pendant cinq ans, je lui joue l'intégral des suites pour violoncelle seul de Bach. Au fil des mois, il parvient à déboucher ses « oreilles trous », se tourne vers moi, se redresse, pose ses mains sur le violoncelle, puis se met au piano et devient un « virtuose », sans savoir vraiment en jouer. Il joue inlassablement le même intervalle, mais de 1 000 façons différentes, à partir duquel on commence à communiquer. Des conversations musicales incroyables ! Lui qui n'avait jamais répondu à son nom, répond désormais au violoncelle...

* organisé par les associations A4 autisme, Apte autisme et Cap enfants

© Astrid di Crollalanza

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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