« Décision historique ! » Le 12 mai 2024, l'Etat a été condamné pour avoir refusé d'agir en faveur de l'accessibilité de certains logiciels éducatifs. Ainsi en a décidé le Tribunal administratif de Paris, après avoir été saisi par ApiDV et Intérêt à agir, deux associations qui promeuvent les droits des personnes déficientes visuelles. Les établissements scolaires aux ENT (espaces numériques de travail) inaccessibles sont donc désormais « hors-la-loi » et risquent une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 euros.
Contacter un professeur : mission impossible ?
Alors que la loi de 2005 vise à instaurer une égalité des chances entre les personnes en situation de handicap et les « valides » et à favoriser l'inclusion scolaire, de nombreux Français aveugles et malvoyantes (enseignants, agents administratifs et sociaux, parents, élèves) se heurtent, aujourd'hui encore, à des difficultés pour accéder à des fonctionnalités utilisées par l'ensemble de la communauté éducative. C'est par exemple la sélection du nom d'un professeur pour un parent qui veut lui écrire via la messagerie ou le décryptage d'un pictogramme de couleur pour un travailleur social qui souhaite vérifier l'absence d'un élève.
La (lourde) nécessité d'être assisté
Face cet obstacle, une personne non ou malvoyante est « exactement dans l'état de la personne handicapée moteur confrontée à un escalier : elle ne peut le franchir seul et doit toujours recourir, malgré l'équipement informatique sophistiqué dont elle dispose, à l'aide d'un tiers », déplore apiDV. Ainsi, un élève qui doit passer un examen sous forme de QCM en ligne doit être assisté par un secrétaire.
Pour surfer sur un site web ou un logiciel, les internautes déficients visuels utilisent un lecteur d'écran qui transmet les informations sous forme vocalisée ou en braille. Mais, « pour que cela fonctionne, il faut respecter des critères d'accessibilité », souligne le président de l'association, Pierre Marragou.
La mise en place de solutions de contournement
Le ministère de l'Education nationale rappelle que les outils numériques sont utilisés dans près de 80 % des établissements du second degré et 20 % du premier degré (selon des données de 2020 qui ont probablement augmenté depuis). Parmi eux, combien sont « hors-la-loi » ? Si aucune donnée officielle n'est communiquée, l'association ApiDV reçoit plusieurs dizaines d'alertes chaque année, « un chiffre clairement sous-estimé », selon elle, car « la plupart des déficients visuels se découragent et choisissent des solutions de contournement : par exemple un parent aveugle qui demande à son conjoint de consulter les notes des enfants, des parents qui aident leur enfant malvoyant, un prof qui fait saisir les notes par son assistant ».
Mise en application de la loi... 20 ans après
« Il aura fallu près de vingt ans pour que la loi s'applique », déplore-t-elle. En effet, en 2021, « la secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées, pourtant compétente en vertu d'un décret de 2019, s'est déclarée incompétente puis a refusé d'agir auprès des sociétés éditrices de ces logiciels », indique l'association. Après une longue procédure, en mai 2024, le Tribunal administratif de Paris annule ce refus pour « erreur manifeste d'appréciation » et ordonne à l'ARCOM, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique qui a, depuis septembre 2023, « hérité » de cette compétence, de « prendre les mesures d'exécution du jugement ». Concrètement, cela implique une mise en accessibilité « très rapide » de ces logiciels.
Accessibilité : les mêmes obligations pour tous !
« Pour l'ensemble des personnes déficientes visuelles, cette décision juridique est une victoire considérable contre cette discrimination insupportable », se félicite ApiDV. Selon Pierre Marragou, elle « confirme que les logiciels de vie scolaire sont devenus incontournables au sein du service public de l'école et que ceux-ci doivent répondre aux mêmes obligations d'accessibilité que toute démarche en ligne de l'administration ».
Elèves, parents, professionnels, vous êtes confrontés à ces obstacles ? N'hésitez pas à alerter l'association ApiDV ou à saisir l'Arcom.
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