« Et si tu devenais la première personne tétraplégique à gravir le Mont-Blanc ? » C'est le pari audacieux – pour ne pas dire « fou » – que Guillaume Pertuisel, ancien pompier blessé dans un accident de voiture, a lancé à son ami Johann Culianez, ex-footballeur professionnel, handicapé depuis un plongeon qui a mal tourné. Ce passionné de montagne met la barre très haut en matière de challenges... C'est ainsi que l'aventure « Kulmine » voit le jour, grâce à un petit coup de pouce du destin et une envie colossale de se surpasser.
Une rencontre entre deux « blessés de la vie »
Tout commence fin 2023, au centre de rééducation de Kerpape, en Bretagne, où les deux hommes tentent de reconstruire leur corps et leur esprit, ébranlés par le coup du sort. Quelques mois plus tard, ils se croisent de nouveau, devant l'école de leurs filles qui sont dans la même classe. Une belle amitié naît entre les deux papas, nourrie par une passion commune : le sport. Guillaume narre à son ami ses aventures en haute montagne, Johann est conquis. C'est décidé, en 2026, ils s'attaqueront au toit de l'Europe en joëlette, un fauteuil roulant tout-terrain monoroue. Mais, pour atteindre le point « Kulminant » de leur odyssée, de nombreux défis les attendent...
Handicap.fr : Pourquoi le Mont-Blanc ?
Johann : Nous voulions faire résonner le slogan de notre association Kulmine – qui vise à rendre le sport accessible à tous –, « rendre l'impossible accessible », sur le toit de l'Europe. Par ailleurs, le Mont-Blanc n'a jamais également été gravi par une personne tétraplégique car la difficulté est extrêmement importante d'un point de vue logistique et technique mais, comme Guillaume a déjà fait plusieurs fois son ascension, nous ne partons pas en terre inconnue.
Guillaume : J'ai eu la chance de pouvoir pratiquer la haute montagne plusieurs années après mon accident et ainsi ressentir des sensations incroyables de liberté, de plaisir de l'effort intense et découvrir des paysages incroyables. Il me tenait à cœur de pouvoir les partager avec Johann.
H.fr : Quel est l'objectif de ce défi ?
Johann et Guillaume : Bien plus qu'un exploit physique, cette ascension est une démonstration de dépassement de soi, de résilience et de solidarité. Pendant trois jours, une équipe de trente personnes (pompiers, militaires, soignants, guides de haute montagne, athlètes engagés...) accompagnera ainsi Johann jusqu'au sommet, le portant en joëlette sur les passages les plus techniques et assurant chaque étape avec une précision absolue. Puis, si les conditions météorologiques le permettent, il redescendra en parapente biplace réalisant un double-exploit.
H.fr : Que voulez-vous vous prouver avec ce défi ? Et aux autres ?
Johann : « Valide », je n'aurais probablement jamais tenté de gravir ce sommet, c'est aussi pour me prouver à moi-même que j'en étais capable que je me suis lancé dans cette aventure. Le 16 août 2014, j'ai creusé ma tombe en plongeant dans cette piscine, 12 ans plus tard, me retrouver sur ce sommet mythique incarnerait un contraste saisissant. L'enjeu est également de prouver aux personnes en situation de handicap que, même lorsque l'on pense que notre vie s'arrête après un dramatique accident, il est encore possible de vivre ce genre de défi incroyable.
Guillaume : Nous voulons aussi prouver que, même dans des conditions extrêmes, grâce à un esprit d'équipe et une cohésion sans faille, rien n'est impossible.
H.fr : Comment préparez-vous à ce défi ?
Johann et Guillaume : en 2025, plusieurs projets jalonnent notre préparation. Nous avons déjà accompli le trail de Saint-Thuriau (Bretagne) – 15 kilomètres parcourus en trois heures dans des conditions très compliquées –, le marathon de Paris – 42 kilomètres en 3h54 le 13 avril – puis, le 20 avril, l'Hyrox au Grand Palais. Cette compétition de fitness en salle combine huit kilomètres de course et huit exercices fonctionnels. Nous étions survoltés et impatients d'en découdre, d'ailleurs ça s'est vu sur notre chrono final : 1h28, soit deux minutes de moins que le temps visé !
H.fr : En quoi consiste vos entraînements ?
Johann : Sur le plan médical, j'effectue trois séances de kinésithérapie par semaine et une séance d'ostéopathie. Je dois aussi m'entraîner sur le plan musculaire à raison de trois heures par jour pour avoir un bon tonus abdominal car je serai secoué dans la joëlette.
Guillaume : Les porteurs, guides et médecins qui nous accompagneront sont tous des sportifs aguerris. Nous effectuons tous les jours des séances de cardio et de renforcement musculaire, et réalisons des phases de préparation spécifique en montagne. Pour ce type de projets, des séances avec médecin spécialisé sont également prévues.
H.fr : Prochaine étape, l'ascension du Grand Paradis (4061 mètres) en Italie en septembre. Que ressentez-vous à cinq mois de cette première virée commune en haute montagne ?
Johann et Guillaume : Nous éprouvons une appréhension autre que ce qu'on pourrait croire... Ces différents projets ont malheureusement un coût important, nous avons besoin de récolter environ 200 000 euros car il nous faut payer les réservations des hébergements pour la vingtaine de personnes qui nous accompagne, les frais afférents aux allers-retours entre la Bretagne et les Alpes, les guides de haute montagne, les divers équipements relatifs aux ascensions. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert une cagnotte en ligne. En attendant, nous travaillons, avec des ingénieurs et des ergothérapeutes notamment, sur la conception de la joëlette afin de la rendre la plus légère possible.
H.fr : Ce défi, c'est aussi un hommage à votre passion commune. Qu'est-ce le sport représente pour vous ?
Johann : Le sport a toujours fait partie de ma vie, et tant que je serai en mesure d'en faire, je ne m'arrêterai pas. Comme pour beaucoup d'autres personnes en situation de handicap, il m'a permis de renaître de mes cendres.
Guillaume : Le sport représente toute ma vie, je le pratique depuis l'âge de cinq ans, il m'a forgé le caractère, m'a appris à aider et respecter les autres. Il fait partie de mon équilibre de vie personnel.
H.fr : Selon vous, le handicap est-il un frein à la pratique sportive ? Les médecins vous ont-ils encouragés ou plutôt dissuadés d'en faire ?
Guillaume : Les médecins m'ont encouragé tout en limitant les sports à impacts. Ma rééducation a été très longue mais, aujourd'hui, j'ai pu récupérer une bonne partie de mes facultés.
Johann : Le handicap ne peut pas être un frein à partir du moment où il est pensé intelligemment, il existe aujourd'hui de nombreuses adaptations pour pouvoir continuer à pratiquer du sport. Dès lors que l'on décide de quelque chose et que l'on s'en donne les moyens, rien n'est impossible.
H.fr : « Le handicap ne doit jamais être un frein mais, au contraire, un moteur pour se dépasser », c'est justement votre mantra. Avez-vous toujours possédé cet état d'esprit, cet optimisme ou est-ce le fruit d'une remise en question et de plusieurs années de travail ?
Johann : J'ai toujours eu une vision optimiste des différents évènements de ma vie. Lorsque je faisais face à des situations compliquées, je cherchais à les rendre faciles. Aujourd'hui, même avec une tétraplégie, ma capacité de résilience ne fait que croître.
Guillaume : La remise en question est permanente, la reprise des activités sportives et professionnelles sans réel souffrance est très longue. Ma force mentale, je l'ai travaillée pendant toutes mes années de compétitions et de rééducation. C'est un combat au quotidien où l'optimisme reste la clef du succès.
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