H.fr : Vous êtes fortement malentendante ; alors expliquez-nous comment vous pouvez m'entendre à l'autre bout du fil.
IH : Effectivement, je bénéficie d'un appareil numérique intra-auriculaire (discret, il se glisse à l'intérieur du conduit auditif, ndlr) qui me permet de téléphoner sans souci. Enfin, à une exception près : je dois m'éloigner du combiné et mettre le haut-parleur afin d'éviter le larsen.
H.fr : Vous n'avez éprouvé votre handicap que très tard…
IH : Oui, j'ai mis énormément de temps à me prendre en main. Je sentais que mon ouïe se détériorait progressivement et que je commençais à devenir dyslexique, ce qui, par ailleurs, faisait bien rire mon entourage car je répondais à côté de la plaque quand on me posait une question (rires). Ce n'est qu'entre 35 et 40 ans que j'ai eu un appareil auditif. Pourtant, j'avais déjà deux sourds profonds dans ma famille.
H.fr : Que ressent-on lorsque l'on retrouve l'usage d'un sens ?
IH : C'est magnifique ! Bien sûr, j'étais agressée, dans les premiers temps, mais, désormais, je suis perdue sans mon appareil. Et, chose importante en tant que professeure de modern jazz, j'ai retrouvé un meilleur équilibre.
H.fr : Qu'est-ce qui vous a décidé à poster votre candidature pour participer à Koh-Lanta ?
IH : Je crois que je regarde l'émission depuis sa première saison. J'aime l'aventure et, franchement, je m'y voyais. Aussi, il me tenait à cœur de représenter la communauté sourde, communauté qui m'est chère. Cela fait quelques années que je m'inscris mais cela ne s'est jamais concrétisé car j'étais toujours très occupée. Sauf pour cette saison !
H.fr : Avez-vous reçu le soutien de vos proches, et notamment celui de vos trois enfants (âgés de 33, 30 et 23 ans, ndlr) ?
IH : J'avoue qu'ils ont été un peu surpris lorsque je leur ai annoncé la nouvelle. Même si la réaction de mon deuxième garçon était plus nuancée car il est très protecteur, tout le monde était très content. C'était un peu plus dur dès mon départ pour l'île mais ils m'ont dit qu'ils avaient ressenti beaucoup de fierté. Et puis ils ont su trouver les mots pour me remonter le moral lorsque je suis rentrée…
H.fr : Racontez-nous vos premières impressions avant de sauter à l'eau pour rejoindre l'île.
IH : J'étais à fond dedans ! Il y a un peu d'appréhension au départ car on ne sait pas où on va mais j'avais l'impression d'être comme une enfant qui découvre Disney !
H.fr : Avez-vous décidé de parler immédiatement de votre handicap à vos coéquipiers ?
IH : Exactement, cela ne servait à rien que je le leur cache. En fin de soirée, je retire mon appareil et je voulais à tout prix éviter qu'ils se disent «Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?» si jamais je ne leur répondais pas. J'ai senti un grand respect de leur part par rapport à ma surdité. Il n'y a jamais eu un mot à ce sujet.
H.fr : Trouvez-vous qu'être malentendante vous a desservie ?
IH : Oui, je pense. Je n'entends pas aussi vite que les autres et, lorsque la conversation est longue, il m'arrive de perdre le fil. Je me renferme un peu.
H.fr : En plus d'être la seule participante handicapée en compétition, vous étiez aussi, à 55 ans, la doyenne de l'émission. Un « handicap » supplémentaire ?
IH : J'étais fière d'être la doyenne ! Après, forcément, ce n'est pas facile ; je n'ai plus 20 ans. Le fait d'être une femme a joué aussi. Je ne suis pas une force de la nature comme peut l'être Bruno malgré ses 52 ans mais je trouve que j'avais la patate par rapport à certains jeunes qui étaient parfois plus fatigués que moi.
H.fr : Quel sentiment prédomine : la satisfaction d'être restée si longtemps ou la frustration d'avoir été éliminée si rapidement ?
IH : Très sincèrement, je suis fière de mon parcours. C'est une très belle thérapie qui m'a permis de comprendre beaucoup de choses sur moi. Depuis, j'ai retrouvé plus de calme, de sérénité. Participer à Koh-Lanta s'est révélé mieux que ce que j'imaginais. Si je devais avoir un regret, ce serait celui de ne pas avoir eu assez de temps pour me faire connaître. Beaucoup de gens n'aimaient pas Moundir (candidat en 2003, 2009 et 2014, ndlr) lors de sa première participation et ont, depuis, changé d'avis car ils en savent plus sur lui. Je pense que je suis dans la même situation que lui au départ.
H.fr : Une des candidates vous a qualifiée de « Calimero ». Cela vous a-t-il touché ?
IH : Cela m'a fait un peu de peine, c'est vrai. Mais j'ai pardonné Margot sans problème après qu'elle m'ait présenté ses excuses. Ça ne m'a pas atteint plus que ça ; je sais d'où je viens. J'ai tout surmonté dans ma vie, je suis professeure de danse malgré le fait que je sois malentendante... Et puis, je sais qui je suis, j'ai un cœur en or, je suis une personne positive.
H.fr : Si on vous le proposait, vous y retourneriez ?
IH : Ah, je dis oui tout de suite ! Surtout que j'aurais l'expérience de ma première participation.
H.fr : Que feriez-vous différemment ?
IH : Je serais moi plus vite. Au début, on ne sait pas trop comment être, si on doit dire telles choses ou pas… Je ne suis pas quelqu'un de très stratège et je crois que j'ai appris à être diplomate trop tard (rires).
H.fr : On sait que participer à une émission de téléréalité peut être un tremplin vers le petit écran. Qu'en sera-t-il pour vous ?
IH : Cela suscite des envies, effectivement. J'aimerais bien jouer dans une publicité pour un appareil auditif ou bien travailler comme professeure de danse à la télé. Je suis une grande fan de Danse avec les stars ! J'attends qu'on me propose quelque chose. A bon entendeur (rires). Après, j'ai aussi un autre projet qui a de bonnes chances de se concrétiser.
H.fr : Quel est-ce projet ?
IH : Avec l'association « Mieux vivre » (qui a créé l'École française de langue des signes, ndlr), dont je fais partie, nous aimerions monter un spectacle de danse avec des sourds et des malentendants pour juillet 2016. Je suis d'ailleurs en train d'être formée à la LSF afin de pouvoir plus facilement communiquer avec eux. Il reste encore à écrire un synopsis et à trouver une salle dans laquelle répéter mais l'idée commence à faire son chemin.
H.fr : Il est de coutume que chaque nouvelle personne arrivant dans un groupe de sourds se voit attribuer un signe. Quel est le vôtre ?
IH : On me nomme avec le signe « sourire ». Un signe positif, comme moi (rires). Je ne suis pas « Isabelle sourire » pour rien !