Indépendants handicapés : un risque avec la nouvelle loi ?

La loi pour la "Liberté de choisir son avenir professionnel" est adoptée le 1er août 2018. Quelques mesures concernent les travailleurs handicapés mais un article relatif à la sous-traitance pourrait mettre les indépendants dans l'embarras.

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Après plus de deux mois de débats et plus de 2 500 amendements examinés, le projet de loi controversé pour la « Liberté de choisir son avenir professionnel » a été adopté par l'Assemblée nationale le 1 août 2018 à une large majorité (137 voix pour et 30 contre). Muriel Pénicaud, ministre du Travail, s'en félicite au motif qu'elle « apporte de nouveaux droits à nos concitoyens et leur donne les moyens de construire leur propre voie de réussite professionnelle grâce à des protections collectives. »

Quid des personnes handicapées ?

Plusieurs articles (de 39 à 45, en lien ci-dessous), qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2019, concernent plus spécifiquement les travailleurs handicapés. Dans un résumé en dix points des grandes mesures, le numéro 9 détaille celles qui vont « faciliter » leur accès à l'emploi. Le document précise qu'avec « seulement 3,4% des salariés en situation de handicap dans les entreprises et 1,2% des apprentis, notre société n'est pas assez inclusive ». En 2016, 36% des personnes reconnues handicapées sont en emploi contre 64% dans l'ensemble de la population, et 18% sont au chômage contre 10% de l'ensemble de la population. Défini comme une « priorité », le gouvernement entend donc « agir pour développer les compétences et l'accès à l'emploi durable des personnes handicapées et élargir la palette des outils existants ». Le périmètre de l'obligation d'emploi sera ainsi désormais apprécié au niveau de l'entreprise, et non plus de chaque établissement la composant, ce qui devrait permettre d'ouvrir 100 000 emplois aux personnes en situation de handicap. Les créations d'emplois dans les entreprises adaptées (qui emploient pour le moment au minimum 80% de travailleurs handicapés mais dont le taux pourrait être revu par décret) passeront de 40 000 à 80 000 d'ici 2022 (article en lien ci-dessous). Chaque CFA aura également un référent handicap et percevra une aide supplémentaire pour chaque apprenti en situation de handicap ; les enseignements et postes de travail seront ainsi adaptés.

Compte personnel de formation et accessibilité numérique

Dans le cadre du point 2, « Se former et acquérir des compétences quelle que soit sa situation de départ », les personnes en situation de handicap auront également un abondement de leur Compte personnel de formation (CPF), alimenté non plus en heures mais en euros, dans des conditions fixées par décret. Quant à l'obligation d'emploi de salariés handicapés, elle reste fixée au minimum à 6% (c'est un plancher et non un plafond), taux qui sera révisé tous les cinq ans selon la part de travailleurs handicapés dans la population active. L'article 44 concerne également la mise en accessibilité des sites internet et applications mobiles des organismes du secteur public, qui doit intervenir avant le 23 septembre 2018, tandis que le 45 relatif aux droits d'auteur autorise les personnes atteintes d'une déficience ou empêchées de lire à adapter des documents à leurs besoins.

Ca grince chez les sous-traitants

Deux autres articles font grincer quelques dents : les 40 (dans le privé) et 42 (dans le public), relatifs à la sous-traitance, qui entendent « valoriser différemment le recours aux établissements et services d'aide par le travail, entreprises adaptées et travailleurs indépendants handicapés ». Les contrats passés ne devraient plus être comptabilisés dans ce qu'on appelle les UB (unités bénéficiaires) qui permettent de calculer le taux d'emploi direct d'une entreprise soumise à l'obligation mais déduits du montant de la contribution due par l'employeur. En d'autres termes, le quota de 6% ne pourra plus être atteint que par de l'emploi direct, la sous-traitance ne permettant que des déductions fiscales. Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du Handicap, déclare dans une interview accordée au Figaro le 31 juillet 2018 : « Nous voulons favoriser l'insertion des personnes handicapées dans l'emploi ordinaire. Car dès qu'une personne handicapée s'intègre dans une entreprise, ça marche ! ».

Avis contraires

Alors que le gouvernement parle « d'allégement » et de « simplification », les publics concernés sont vent debout contre cette disposition au motif que les entreprises communiquent principalement sur le taux d'emploi direct, une « vitrine » qui permet d'identifier et de valoriser les bons élèves. Didier Roche, président de l'association H'Up qui accompagne les travailleurs indépendants handicapés, s'indigne dans une interview accordée à handicap.fr (en lien ci-dessous) : « Le postulat, c'est donc de dire : 'On vous enlève la sous-traitance comme ça vous allez devoir embaucher' ». Il s'était âprement battu en 2015 pour que le recours aux travailleurs indépendants handicapés puisse être comptabilisé dans le quota (article en lien ci-dessous). À l'époque, le ministre de l'Economie à l'origine de cette mesure s'appelle… Emmanuel Macron !  Didier Roche dénonce aujourd'hui un « retour en arrière ».

Une véritable catastrophe

De son côté, Sandrine Thirion parle de « véritable catastrophe ». Le 19 juillet, elle adresse une lettre ouverte à Sophie Cluzel en faveur des TIH, ces personnes « qui ont décidé que, malgré ses difficultés de santé, elles allaient prendre la vie à bras le corps et se donner toutes les chances de réussir ». Elle-même en situation de handicap, après un long parcours du combattant en entreprise, elle décide de créer sa propre agence de communication, coup2coeur, et, après deux ans d'activité, la loi Macron lui offrait un « avantage concurrentiel indéniable, un sacré coup de pouce ! ». Parce que ce dispositif est, selon elle « gagnant-gagnant », plusieurs grandes entreprises lui ont ainsi accordé leur confiance. « Jusqu'à maintenant, lorsque je travaille pour une entreprise, je suis prise en compte dans son effectif de travailleurs handicapés », explique la jeune femme. « Alors pourquoi proposer maintenant une loi qui semble vouloir supprimer ce seul avantage qui leur est accordé ? », s'interroge-t-elle. Elle juge à son tour que ce système ne permettant qu'une déduction de la contribution ne sera pas « suffisant ni suffisamment valorisant » pour les entreprises ni pour elle. Une épée de Damoclès sur la tête de 75 000 entrepreneurs handicapés ? Qui fait planer la même ombre sur celle des travailleurs d'Esat et d'entreprises adaptées…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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