Maladie rare : quand l'errance diagnostique isole et déchire

"Trop stressée", "parano", "consultez un psy !"... Quand Louis est né, Laure a su qu'il était différent, c'était bien la seule. Témoignage d'une maman rongée par l'errance diagnostique à l'occasion de la Journée des maladies rares du 29 février 2020.

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Louis est né de manière sportive, avec une triple circulaire du cordon qui compressait son cou. Une naissance loin d'être sereine mais relativement courante, contrairement à sa maladie. Dès ses premières heures, nous sommes mis au parfum... Il respire, son cœur bat mais c'est à peu près tout ; il ne se réveille pas, bouge à peine, n'a pas faim... 48 heures plus tard, il est transféré au service de néonatologie. Un premier diagnostic tombe : Escherichia coli, une bactérie potentiellement grave mais qui se soigne. Ouf ! Après un bref soulagement, une ponction lombaire et quelques jours d'antibiotiques, la pédiatre m'annonce : « Ecoutez, vous voulez que je sois franche ? Je ne suis pas satisfaite de son état. Il y a quelque chose chez lui qui ne va pas mais je ne sais pas ce que c'est... ». Un médecin qui ne sait pas, comment est-ce possible ? Je ne comprends pas ; pire, je lui en veux et le lui fais savoir. Depuis, j'ai fait du chemin et me suis rendu compte que c'était sans doute l'un des médecins les plus honnêtes auxquels nous avons eu à faire mais, sur le coup, j'étais folle de rage. Très vite, une seconde pédiatre nous rassure et reproche à sa consœur de nous « inquiéter pour rien ». « Tous les tests sont bons, votre bébé va bien », assure-t-elle. Me serais-je fait un film ?

Un retour mouvementé

Nous rentrons à la maison une dizaine de jours plus tard. Alors que mes proches sont comblés de joie, l'inquiétude et le doute me hantent. Louis a des problèmes de succion, il fait des fausses routes... Deux indicateurs qui sont rétrospectivement éloquents, selon moi, mais pris à la légère par mes proches et certains médecins qui rétorquent : « Mais non, il régurgite ». J'ai finalement su, quelques mois plus tard, qu'il s'agissait bien de fausses routes. L'instinct maternel, ça vous parle ? A défaut, tous me taxent de « maman trop stressée », un poil « parano »... C'est à se demander si je ne suis pas complètement « folle ». Les premiers mois, je me sens extrêmement seule, ne reçois aucune écoute des professionnels ni même de mon entourage. Et, pourtant, les symptômes de Louis s'accumulent. Il est hypotonique et devient parfois tout bleu, en pleine nuit. Le fossé qui le sépare des autres enfants de la crèche se creuse de jour en jour... Un cauchemar bien réel. Cette errance a été la période la plus difficile de notre vie. Sensation d'appeler à l'aide sans jamais être entendu, d'être impuissant face à la souffrance de son enfant, sentiment d'injustice qui s'amplifie... C'est terrible, ça vous bouffe. Certains médecins ne veulent pas avouer qu'ils ne savent pas et préfèrent faire passer les parents pour des fauteurs de troubles.

« H comme handicapé »

Trois mois plus tard, je demande un second avis médical auprès d'une consœur de ma pédiatre, qui me dénonce auprès d'elle. Les retrouvailles lors de ma consultation mensuelle sont pour le moins houleuses. Ma pédiatre me fait savoir qu'elle est au courant de « cette trahison » et me traite comme une « gamine » qui aurait fait une bêtise, avant de me conseiller de consulter un psychologue. Leitmotiv ? « Ce n'est pas juste de faire subir vos propres angoisses à votre fils. » Aurait-elle raison ? A cet instant, je m'en veux terriblement. Je suis donc ses conseils, sans succès. Après cinq séances de thérapie infructueuses, je coupe court. Lassée de me battre contre tout le monde, je capitule et essaye de reprendre le cours de ma vie. Mais, aux 9 mois de Louis, toujours aucune évolution : pas un début de position assise et sa tête, qui semble trop lourde, tombe parfois au ras du sol quand il essaie de s'appuyer sur ses bras pour se lever. Je décide donc de demander un troisième avis médical. Bingo, elle affirme que « quelque chose cloche chez Louis » et m'oriente vers une neuropédiatre qui met subitement fin au suspense : « Vous devriez faire des tests génétiques et constituer un dossier à la MDPH. Je vous préviens, le 'h' c'est pour 'handicapé' ». Une annonce brutale, surtout pour mon mari -qui espérait encore que Louis soit juste un peu « ramollo » à cause d'une intolérance au lactose- mais néanmoins salvatrice. « Je suis désolé, je t'écouterai la prochaine fois », me dit-il en sortant du cabinet. Après neuf mois de combat solitaire contre les discours culpabilisants et autres jugements, nous ferons désormais front ensemble.

Errance diagnostique ravageuse

A son première anniversaire, Louis passe une IRM cérébrale puis une batterie de tests génétiques. Sur le papier, tout semble correct, pourtant il reste très hypotonique. Anoxie néonatale, syndrome de Prader willi... Tout aura été envisagé par notre neuropédiatre qui a le courage et l'honnêteté de nous expliquer sa démarche diagnostique, même si les différentes pistes s'avèrent fausses, ce qui n'est pas le cas de tous ses confrères. L'hôpital Robert Debré nous propose de faire une première batterie de tests. Les résultats reviennent négatifs. Nous effectuons aussi un caryotype et un CGH-array puis, à Necker, un exome, bref des tests génétiques de plus en plus poussés. Essaye encore... C'en est trop. Je m'écroule. Nous voici dans une impasse, devant nous résoudre à l'idée que nous ne saurons jamais de quoi souffre notre fils. Je n'ai pas versé une larme lorsqu'on m'a annoncé qu'il était handicapé mais, ce jour-là, elles coulent à flots. Ce qui n'arrange rien, c'est que, pour beaucoup, ce qui n'est pas nommé n'existe pas, de quoi relancer les rumeurs de paranoïa, mais les preuves sont là ! Louis, qui avait commencé à babiller vers 2 ans, a tout perdu quelques mois plus tard, et a commencé à développer d'autres troubles du spectre de l'autisme, comme des stéréotypies. Mais toujours aucun diagnostic à l'horizon.

Un semblant de diagnostic

Les mois passent et se ressemblent, nous avançons dans le noir... Jusqu'à ce matin d'août 2019. Les généticiens de l'hôpital Necker nous informent qu'ils sont sur une « piste sérieuse » : le SLIT RK4. Le nom d'une arme ? En quelque sorte... Selon eux, ce variant génétique serait sans doute à l'origine de tous les troubles de Louis. Le hic, seuls huit enfants dans le monde en sont atteints. En France, on parle de « maladies rares » quand moins de 30 000 personnes sont concernées. Celle de Louis relève de « l'ultra-rare », de l'insolite... Même Google ne semble pas la connaître et ne donne que trois pauvres petits résultats. Nous étions à deux doigts d'obtenir enfin un diagnostic mais des tests supplémentaires sont nécessaires pour infirmer ou confirmer cette théorie. En attendant, j'ai demandé à être mise en relation avec les autres familles concernées pour savoir ce qu'elles ont mis en place. Des thérapies comportementales et cognitives ? Je suis en quête de solutions.

Un petit frère pour août

Agé de 4 ans et demi aujourd'hui, Louis ne parle toujours pas mais ses problèmes de motricité ont nettement diminué. Les fausses routes ? Ce ne sont plus que de mauvais souvenirs, il commence d'ailleurs à goûter aux joies de la nourriture solide. Après quatre ans en crèche, il vient tout juste d'intégrer la petite section de maternelle. Sa journée type ? Il va à l'école le matin accompagné par son AESH (accompagnante d'élève en situation de handicap), puis est gardé par sa grand-mère l'après-midi. Il est également pris en charge par une éducatrice spécialisée au sein d'un centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP), tous les jeudis, et, après huit mois de combat pour en dégoter une à Paris, il voit désormais une orthophoniste libérale deux fois par semaine. Le soutien inconditionnel de ma mère est précieux, il nous a permis de continuer à travailler et d'avoir un semblant de vie « normale ». Avocats tous les deux, nous avons dû néanmoins adapter nos ambitions professionnelles ; je suis d'abord passée en 4/5ème puis nous nous sommes réorientés pour suivre une carrière plus en adéquation avec notre situation familiale.


En parlant de famille, elle devrait s'agrandir cet été... Je suis enceinte et sais aujourd'hui que le risque que mon deuxième enfant soit porteur du « gène défaillant » est quasi inexistant. Mais le combat continue ; je veux enfin mettre un nom sur le mal qui ronge Louis car, comme l'a dit une autre maman concernée : « Diagnostiquer une maladie, c'est identifier votre ennemi et permettre aux chercheurs de pouvoir, un jour peut-être, trouver le moyen de la guérir ».

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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