Les maladies rares portent mal leur nom... Elles sont plus de 7 000 et concernent, au total, 2 à 3 % de la population. Mais la faible prévalence dans chacune d'elles ne permet pas toujours une prise en charge médicale adaptée. En effet, 97 % n'ont pas de traitement. Sans parler de l'accompagnement social... Cumulées, ces difficultés peuvent mener la vie dure aux familles, a fortiori lorsque la vie d'un enfant est en jeu.
Pour optimiser leur parcours de vie, l'hôpital universitaire Necker-Enfants malades et la Fondation Groupama ont lancé une expérimentation sociale en 2015, dans la lignée du second plan national maladies rares. Partis du constat que le parcours de l'enfant génère de nombreuses ruptures, notamment lors de l'entrée au collège ou de l'insertion professionnelle, ils ont mis en œuvre des leviers d'action, sensibilisé aux problématiques sociales que posent ces pathologies et élaboré une méthodologie spécifique pour favoriser l'autonomie des familles. Cette expérimentation a été récompensée en 2019 par le prix Trophées Patients de l'AP-HP, dans la catégorie « Écoute du patient ». Lumière sur ses principaux enseignements (compte-rendu complet, « Améliorer la qualité de vie des enfants atteints de maladies rares », en lien ci-dessous) avec Sixtine Jardé, assistante sociale au sein de l'hôpital Necker et coordinatrice du projet.
Handicap.fr : Quel impact les maladies rares peuvent-elles avoir sur la qualité de vie des familles concernées ?
Sixtine Jardé : Une première phase exploratoire de six mois a permis d'identifier les principales problématiques. Pour ce faire, une cohorte de 80 familles, comprenant des enfants âgés de 6 mois à 18 ans, a été constituée. Résultats : 93 % d'entre elles connaissent des difficultés pour obtenir des compensations financières et 90 % estiment que le personnel paramédical, en dehors de l'hôpital, a une connaissance « insuffisante » des maladies rares. L'étude révèle aussi de lourdes conséquences sur la vie familiale, avec 61 % des parents qui ont été contraints d'interrompre leur activité professionnelle et 70 % qui ont soufferts de troubles psychiques tels que la dépression. La vie de couple n'est pas non plus épargnée : quand 51 % d'entre eux ont vu naître des tensions, 22 % se sont séparés.
H.fr : En quoi cette étude a-t-elle été déterminante ?
SJ : Elle a permis d'identifier quatre facteurs majeurs qui entravent le quotidien des familles, à commencer par l'errance médicale, de quatre ans en moyenne. De nombreux parents misent tout sur le diagnostic, le cherchent durant des années, et se retrouvent en situation de grande précarité, notamment financière, et complètement isolés. Autres freins : la méconnaissance des professionnels paramédicaux de ces maladies rares et l'éloignement géographique des centres de référence. Ultime obstacle : la lourdeur et la chronicité de ces pathologies qui ne rentrent pas dans les cases, ni à l'école, ni à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). Résultat, les familles peinent à faire valoir leurs droits.
H.fr : A qui s'adresse cette expérimentation finalement ?
SJ : A la fois aux parents et aux professionnels du médico-social. Les maladies sont rares mais les malades sont nombreux... Les professionnels rattachés à un service hospitalier spécifique ne se rendent pas forcément compte de la singularité de ces pathologies parce qu'ils sont parfois amenés à voir des patients qui souffrent de la même maladie tous les jours.
H.fr : Quels outils ont été développé au cours de cette expérimentation ?
SJ : Un guide d'évaluation papier, également disponible en ligne (en lien ci-dessous), pour homogénéiser les pratiques des travailleurs sociaux dans les hôpitaux et les établissements médico-sociaux. Il détaille une prise en charge globale sur tous les aspects de la vie de l'enfant : la fratrie, les parents, le paramédical, les intervenants sociaux... Nous avons également mis en place un carnet de liaison qui recense l'ensemble des acteurs qui gravitent autour du patient et indique, par exemple, différentes solutions de transport pour emmener l'enfant à l'école ou à l'hôpital. Enfin, nous avons lancé un tuto « projet de vie » (vidéo ci-contre) pour les aider à remplir un dossier MDPH, après avoir constaté qu'une même maladie pouvait donner lieu à des prestations différentes, selon la manière dont le dossier avait été rempli. Ce dernier se divise en trois parties : les deux premières, administrative et médicale, sont relativement simples mais celle qui concerne le projet de vie de l'enfant est nettement plus difficile car la majorité des familles disent être incapables de se projeter...
H.fr : Les familles qui ont pris part à cette expérience ont-elles été convaincues ?
SJ : Certaines nous ont confié que notre intervention avait « changé leur vie » parce que, en parallèle de ces outils, nous leur offrions un accompagnement social approfondi. L'une d'elles vivait dans un logement d'à peine 10 m2, à trois, sans compter la place que prenait le lit médicalisé de la benjamine. La mère était démunie car elle ne connaissait pas ses droits et était lassée de toutes ces démarches... Notre équipe leur a trouvé un logement social à Paris, la fillette a été prise en charge dans un centre de référence puis accueillie dans un établissement médico-social adapté à sa pathologie, à proximité du domicile, et a également pu bénéficier d'une prestation de compensation du handicap (PCH). Nous avons aussi permis à une jeune fille épileptique d'obtenir un chien d'assistance pour prévenir ses crises.
H.fr : L'expérimentation va-t-elle être pérennisée ?
SJ : Oui. Durant un an, j'ai fait un tour de France des CHU (centres hospitaliers universitaires) et des établissements médico-sociaux pour sensibiliser aux maladies rares et présenter ces nouveaux outils. Depuis, une vingtaine de relais régionaux (toute l'équipe du service social de l'hôpital Necker, les assistants sociaux des centres hospitaliers de région, les filières santé maladie rare, les directeurs d'établissements médico-sociaux ) continuent de faire vivre ce projet en déployant ces outils et parfois même en les améliorant.
Contact secrétariat du service social de Necker : 01 44 49 41 39