« Osciller entre le très courant et le très rare, voire le très exceptionnel », tel est le quotidien des chercheurs de l'Institut Imagine, situé au sein de l'hôpital Necker-Enfants malades AP-HP. Leitmotiv ? Les découvertes réalisées sur des pathologies rares peuvent apporter des connaissances ou des pistes thérapeutiques sur d'autres bien plus répandues. « Nos équipes s'investissent sur la drépanocytose, la maladie génétique la plus fréquente dans le monde, tout comme sur des pathologies qui ne concernent que quelques enfants mais qui peuvent ouvrir des voies de compréhension dans des maladies communes, lorsque les mécanismes sont liés, précise son directeur, le professeur Stanislas Lyonnet. La mise en évidence de la fonction de ces gènes peut permettre de décrypter des mécanismes généraux, souvent non encore décrits. » La Journée internationale des maladies rares du 28 février 2021 est l'occasion de mettre en lumière ces recherches.
Des infections bactériennes au Sars-Cov-2
Récemment, les chercheurs Inserm Laurent Abel et Jean-Laurent Casanova, co-directeurs du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses au sein de l'Institut Imagine, ont démontré que la connaissance de déficits immunitaires exceptionnels, révélés par des infections bactériennes ou virales communes, pouvait permettre de comprendre les formes cliniques les plus sévères observées dans la Covid-19. L'enjeu : mettre en évidence les mécanismes génétiques ou immunologiques liés à des auto-anticorps responsables de 15 % des formes graves d'infection par le Sars-Cov-2.
De l'achondroplasie à l'arthrose et l'ostéoporose
En 1994, Laurence Legeai-Mallet co-découvre le gène responsable de l'achondroplasie, forme la plus fréquente de nanisme touchant 8 000 personnes en France, le gène FGFR3 (article en lien ci-dessous). La production excessive de la protéine FGFR3 altère l'ossification, mécanisme qui transforme les tissus cartilagineux en os. La découverte du gène muté et les travaux développés ont permis de mieux comprendre les mécanismes régulant l'homéostasie du cartilage et de la formation osseuse. Résultat : plusieurs options thérapeutiques ont été mises en place et, aujourd'hui, cinq essais cliniques sont en cours de développement pour l'achondroplasie. Or les atteintes du cartilage et de l'os dans cette pathologie sont à rapprocher dans certains aspects de deux maladies adultes fréquentes : l'arthrose (dégradation du cartilage articulaire parfois invalidante et très douloureuse) et l'ostéoporose (grande fragilité des os), pour lesquelles il n'existe, pour l'heure, aucun traitement direct. Or « nos recherches visant à identifier des signatures de gènes et des mécanismes cellulaires et moléculaires, et nos développements de modèles cellulaires et animaux pour l'achondroplasie pourraient apporter des solutions thérapeutiques pour ces deux pathologies », s'enthousiasme le Dr Legeai-Mallet, du laboratoire des bases moléculaires et physiopathologiques des ostéochondrodysplasies à l'Institut Imagine.
Des déficits immunitaires génétiques aux lymphomes
L'équipe de Sylvain Latour étudie, quant à elle, les mécanismes de la réponse immunitaire impliqués dans le contrôle de l'infection par le virus d'Epstein Barr (EBV), le principal virus chez l'homme, responsable de plusieurs cancers. Grâce à l'étude de deux maladies très rares, elle a pu proposer une nouvelle thérapie génique visant à « ré-initier une réponse immunitaire anti-tumorale » pour le traitement de certains lymphomes et autres maladies auto-immunes fréquentes (article en lien ci-dessous).
Des recherches qui profitent à tous
Par ailleurs, les recherches sur des familles touchées par des cancers rares ont permis d'identifier des gènes de susceptibilité de cancers impliqués dans la réparation de l'ADN ou la division des cellules. La connaissance fine des éléments déclencheurs dans les cancers a ouvert de nouvelles pistes thérapeutiques, comme les thérapies ciblées. Autre exemple : une classe thérapeutique mise au point pour traiter la maladie rare de l'hypophosphatasie, une maladie osseuse congénitale, est utilisée pour lutter contre l'ostéoporose. « Ces exemples illustrent l'importance de mener des recherches sur les maladies génétiques dans l'intérêt de tous », conclut l'Institut Imagine. C'est également un espoir pour les trois millions de Français concernés par des maladies rares, soit une personne sur vingt, qui, parfois, désespèrent de ne pouvoir être guéris au vu de la faible prévalence de leur pathologie.