Des personnes handicapées victimes de maltraitance dans les institutions ? Vraiment ? Fin 2013, l'affaire Moussaron, un IME du Gers, défraye la chronique (article en lien ci-dessous). La presse s'en empare, le gouvernement est contraint de réagir, les langues se délient. Oui, la maltraitance sur personnes vulnérables existe bel et bien. Mais combien de familles osent le faire savoir et porter plainte ? Souvent prises dans un étau, déjà « bien heureuses » d'avoir une place, elles cèdent parfois à la menace de voir leur proche renvoyé si elles se risquent à ébruiter l'affaire. Et puis comment faire la preuve de ce que l'on suspecte lorsque tout se passe derrière des portes closes ?
Arnaud, brûlé au 2ème degré
Certains ne se résignent pourtant pas au silence. Deux affaires très similaires en cet été 2018, deux mamans. La première a 70 ans, s'appelle Hélène Ripolli et alerte les medias pour dénoncer ce qui se passe dans la maison d'accueil spécialisée où est hébergé, depuis 2011, son fils Arnaud, autiste, âgé de 45 ans. Elle déplore plusieurs « négligences » en l'espace d'un mois, jamais expliquées, et surtout une brûlure à la jambe, impressionnante, au deuxième degré, survenue le 24 juillet 2018. Le personnel lui explique que, après s'être souillé, Arnaud, qui présente un retard moteur, mental et ne parle pas, est douché par une aide médico-psychologique. « Elle n'a même pas vérifié la température de l'eau, explique Hélène. On m'a dit qu'Arnaud avait hurlé alors qu'il ne crie jamais. L'équipe a attendu je ne sais combien de temps avant de l'immerger sous l'eau froide pour le soulager et n'a même pas pensé à mettre un pansement de tulle gras pour éviter l'infection alors que ses chairs étaient à vif. » Le médecin du centre lui certifie que la plaie va cicatriser en une semaine mais les urgences dermatologiques de Créteil constatent qu'il est brûlé au second degré et que sa guérison prendra au moins trois semaines, étonnées que la brûlure n'ait pas été protégée. En juin 2018, déjà, un hématome à la main gauche révèle une fracture de l'annulaire. Et puis une fracture de l'humérus en 2013, des griffures sur le dos en 2014. Chaque fois, Hélène s'indigne du temps de latence avant que son fils ne soit soigné ou emmené à l'hôpital. « Jusqu'où ça va aller ? », s'indigne-t-elle, dénonçant le « manque de professionnalisme des équipes médicales ».
La photo publiée
Cette ancienne directrice d'école décide alors de témoigner dans Le Parisien, exigeant que la photo de la brûlure soit publiée (photo ci-dessous). Elle a alerté à plusieurs reprises l'ARS (Agence régionale de santé) d'Ile-de-France, qui assure « suivre ce dossier de près », mais aussi d'autres instances. En l'absence de réponse, elle dépose plainte au commissariat contre la Maison d'accueil spécialisée de l'AIPEI de Pavillons-sous-Bois (93) pour « violences habituelles sur personne vulnérable ». Dans le procès-verbal sont consignés tous les actes de maltraitance qu'Arnaud a enduré depuis son arrivée. Puis elle est auditionnée durant trois heures à la demande de la substitut du procureur de Bobigny et convoquée à l'unité médico-juridique de l'hôpital Jean Verdier où Arnaud est examiné par un médecin qui rédige un rapport circonstancié et attribue plusieurs jours d'ITT. Une enquête est en cours. « En 2018, on traite encore les personnes souffrant de troubles du spectre autistique comme des moins que rien… Dans cette MAS pourtant spécialisée dans l'autisme, il ne semble y avoir aucune connaissance de ce handicap. D'autres familles sont touchées mais se taisent. », poursuit Hélène. Selon la direction de la MAS, il s'agit seulement d'un « accident », un « problème de mécanisme dans l'eau chaude ». Pour le moment, après un séjour de répit, Arnaud est retourné chez sa maman.
Gaétan, brûlure et fracture
L'autre maman, c'est Isabelle Pelaggi, celle de Gaétan, un garçon polyhandicapé de 9 ans et demi qui ne marche pas, ne parle pas. Il a intégré en 2011 l'IME de Féchain (Nord) mais rentre chez ses parents près de Douai le week-end. Tout se passe bien jusqu'en 2015 où il revient chez lui avec une brûlure au bras gauche, sans que le personnel ne soit ne mesure d'en expliquer la cause. En mai 2017, ce sont cette fois-ci des douleurs à la jambe qui sont soignées par l'infirmier du centre à coup de Doliprane. Mais Isabelle s'inquiète et emmène son fils aux urgences. Verdict : l'os du fémur est cassé et déplacé. Ses parents décident alors de le retirer du centre et de porter plainte mais elle est classée sans suite car la faute du personnel ne peut être prouvée. Isabelle refuse d'en rester-là et écrit au procureur, qui procède à de nouvelles investigations. En avril 2018, il lui annonce qu'il compte réouvrir le dossier. Pour rappeler aux établissements médico-sociaux qu'ils ne sont pas au-dessus des lois, Isabelle alerte elle aussi la presse et témoigne sur la chaîne Lille tv. A handicap.fr, elle confie : « Bien sûr que lorsque les problèmes surviennent, on a peur, on se dit 'Que vais-je faire si on renvoie mon fils ?'. Gaétan est resté six mois à la maison mais nous avons fini par retrouver un centre pour lui. Aucune maman ne peut laisser son enfant dans un endroit où il souffre, c'est sa santé avant tout ! ».
Le décès de Bruno Thomas
Ces deux affaires ne sont pas sans rappeler celle de la famille Thomas qui, elle aussi, est allée en justice pour briser l'omerta. Bruno, porteur de trisomie et autiste, était selon son père, victime, comme d'autres résidents, de « sévices graves » au sein de la Maison d'accueil spécialisée de La-Glacerie (50), véritable souffre-douleur d'un des salariés (article en lien ci-dessous). Une plainte est donc déposée en mars 2011. Quelques mois plus tard, en juillet, Bruno décède en s'étouffant avec des morceaux de brioche dans son établissement. En 2015, la Cour d'appel de Rouen reconnait la responsabilité civile du salarié. Depuis 2017, un nouveau procès est en cours afin de reconnaître également la responsabilité morale de l'association en sa qualité d'employeur car « elle était avertie de ses agissements mais n'a jamais rien fait pour les empêcher », assure Michel Thomas. Débouté fin 2017, il décide, sur les conseils de son avocat, de se pourvoir en appel. L'affaire est en cours. Il dit être « dégoûté » et connaître d'autres cas : « Pour l'un d'eux, la direction a dissuadé les parents de porter plainte ; il s'agissait pourtant d'un viol ».
Des lois pour protéger ?
Rappelons que, depuis le 1er janvier 2017, la loi oblige les établissements ainsi que les services sociaux et médico-sociaux à signaler tout événement susceptible de mettre en danger les personnes prises en charge. En mai 2018, c'est au tour des députés d'adopter un amendement pour les obliger à désigner « un référent intégrité physique » parmi les membres de leur personnel afin que les personnes accueillies « soient sensibilisées à ce risque et aient la possibilité de se faire aider en cas d'agression » (articles en lien ci-dessous). Permettront-ils de briser la loi du silence sur cette maltraitance institutionnelle ? Des raisons d'en douter…
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