Par Arnaud Bouvier
Comme chaque année, le gouvernement aborde cette rentrée scolaire en vantant les progrès de "l'école inclusive", qui accueille désormais plus de 400 000 élèves handicapés (en hausse de 4% en un an et de 19% en cinq ans), épaulés par 125 500 accompagnants (AESH). Cependant, pour l'Unapei, la principale association de familles de personnes avec handicap intellectuel ou psychique, le compte n'y est pas ; de nombreux enfants "sont toujours privés de scolarisation adaptée à leurs besoins", dénonce le mouvement, qui a recueilli et publié sur un site web dédié (marentree.org) 675 témoignages de familles en colère.
1 enseignante pour 34 enfants
Les difficultés, pointe du doigt l'Unapei, ne concernent pas que l'école proprement dite, mais aussi les IME : dans ces structures dépendant du ministère de la Santé, l'Education nationale doit en théorie détacher des enseignants pour faire classe aux enfants handicapés qui, le reste du temps, sont pris en charge par des ergothérapeutes, kinés et autres orthophonistes. Mais à l'IME René-Coutant d'Evreux, où est accueilli Bastien, une seule enseignante doit faire classe à 34 enfants et adolescents, se désole Jacques Serpette, le directeur général de l'Adapei 27, l'association qui gère la structure. Pour être efficace, les cours ne peuvent avoir lieu que par petits groupes, si bien que les enfants ne voient l'enseignante que quatre heures par semaine, voire une heure seulement pour les plus âgés. Idéalement, le temps scolaire devrait pourtant atteindre 12 heures hebdomadaires, selon M. Serpette, qui réclame en vain un instituteur supplémentaire.
"Les derniers servis"
L'Education nationale est certes constamment sollicitée pour mieux pourvoir telle ou telle ZEP ou zone rurale, reconnaît-il, "mais nous, on est toujours les derniers servis. Comme si l'administration pensait que ces enfants ne peuvent pas apprendre, ou que ce n'est pas si grave que ça", enrage-t-il. "Ce sont des enfants qui ont besoin d'être stimulés plus que les autres", souligne Florence Alavin, la mère de Bastien, inquiète que son fils "perde ses acquis". "J'aimerais qu'il puisse se débrouiller au moins pour la lecture et l'écriture, mais je sens que ça va être compliqué". Dans l'ensemble du pays, l'Education nationale déploie un peu plus de 3 500 enseignants dans les IME, pour environ 70 000 enfants et adolescents, selon le ministère. Des chiffres qu'il faut remettre en perspective, relève l'Unapei, puisque l'enseignement ne peut avoir lieu qu'en petits groupes.
Faire du cas par cas
L'administration "a une vision d'éducation de masse, mais pour ces enfants (handicapés), il faut faire du cas par cas, de l'individuel", souligne Jean-Baptiste De Vaucresson, responsable de cinq IME dans le Val-de-Marne, qui comptent huit enseignants pour 450 enfants. "Bien sûr que ces jeunes ne pourront pas aller jusqu'au bac. Mais ils sont capables d'apprendre, il ne faut pas les ostraciser", insiste-t-il. Pour beaucoup de familles, l'entrée à l'IME est certes souvent vécue comme un soulagement, après des années sans solution de prise en charge. Ce qui ne les empêche pas d'être "en colère" face au manque d'enseignants, observe Sabine Calarnou, dont le fils Titouan, 14 ans, atteint d'une maladie génétique, est accueilli dans un IME de Saint-Maur (Val-de-Marne). "Je n'attends plus qu'il sache lire et écrire, mais au moins qu'il acquière une autonomie fonctionnelle : aller acheter seul sa baguette, se débrouiller dans les transports en commun", résume Mme Calarnou, convaincue que son fils "aurait pu apprendre plus de choses" s'il avait bénéficié d'un temps d'enseignement plus conséquent.
"Tous les enfants ont le droit à la scolarisation, en milieu ordinaire ou pas", estime Sonia Ahehehinnou, de l'Unapei. Ce problème du manque d'enseignants, doublé d'une "disparité territoriale anormale", "ça fait longtemps qu'on le fait remonter à l'Education nationale, mais ça ne bouge pas beaucoup", se désole-t-elle.