Masque: frein à la communication et pas que pour les sourds

Ne plus lire sur les lèvres, ni décrypter les expressions du visage : le port du masque peut restreindre la communication des personnes en situation de handicap auditif ou cognitif, poussées à concevoir leur propre équipement.

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Par Jessica Lopez

Un rectangle de tissu bleu pour le contour, du plastique transparent au niveau de la bouche, des épingles pour tenir le tout et des fils de chaque côté pour le nouer autour de la tête, Kelly Morellon a créé avec sa mère un masque sur-mesure pour pouvoir parler avec ses proches et se faire comprendre. "Le port du masque obligatoire m'a tout de suite fait comprendre que nous allions être coupés des entendants, sans possibilité de lecture labiale", explique à l'AFP cette femme de 31 ans, malentendante depuis une dizaine d'années.

Facteur d'exclusion

Présidente de l'association Main dans la main, Kelly Morellon reçoit depuis le confinement des témoignages de personnes malentendantes qui "se sentent mal, exclues", mais aussi de personnes entendantes qui "veulent communiquer en toute sécurité" avec des déficients auditifs. "Mon masque n'est pas parfaitement au point mais je désirais montrer qu'on peut avoir quelque chose qui ne cache pas notre sourire, et ainsi ne pas freiner la relation avec autrui", poursuit-elle. Comme la sienne, nombre d'initiatives ont fleuri ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, alertant le grand public sur les effets parfois préjudiciables du port du masque pour les personnes sourdes, malentendantes ou atteintes d'un handicap cognitif.

Bientôt des équipements alternatifs ?

"Ne plus pouvoir lire sur les lèvres est un vrai sujet d'angoisse", décrit Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). "Pour les personnes sourdes, le canal visuel est le premier canal". Sourd de naissance, le quadragénaire vit "personnellement de façon très compliquée" cet "envahissement des masques". "Au supermarché, à la pharmacie, avec un collègue, si je ne comprends pas quelque chose, je ne sais pas comment la personne va réagir si je lui demande d'enlever son masque... Elle refusera sans doute, à juste titre", poursuit-il. Craignant que cette situation n'isole davantage après deux mois de confinement, M. Boroy milite pour une "homologation rapide d'équipements alternatifs" afin de proposer à tous une "protection adaptée".

Problème de compréhension massif

Plus à l'aise pour signer que pour lire sur les lèvres, Anne-Marie, 63 ans, plaide, elle, pour les solutions qui permettent de déceler "les expressions du visage entier", comme les visières. "Pour me faire comprendre du monde qui entend, je montre simplement en mime ou avec mes doigts ou par écrit", témoigne à l'AFP dans un message écrit cette retraitée qui communique surtout en LSF, un langage très visuel qui ne fait pas seulement appel aux mains. En France, environ 500 000 personnes sont atteintes de surdité et 5 à 6 millions d'autres sont malentendantes. Mais ce problème de communication peut aussi atteindre "de nombreuses personnes avec troubles cognitifs, autistiques, des victimes d'AVC, de tous les âges, des seniors aux très jeunes enfants", souligne Anne Dehêtre, présidente de la fédération nationale des orthophonistes. Pour cette spécialiste, la lecture labiale est une "stratégie de compensation qui vient très tôt et peut représenter jusqu'à 80 % de la compréhension". A la faveur d'un port du masque généralisé, "on va se rendre compte que beaucoup de personnes entendent beaucoup plus mal que ce qu'on pensait et vont être un peu perdues", prédit-elle.

Dérogation possible en cas de handicap

Pour Mme Dehêtre, des masques transparents devraient pouvoir "se trouver partout" pour équiper "les personnels des Ehpad, personnels de santé, accompagnants d'enfants en situation de handicap (AESH), forces de l'ordre, toutes les personnes au contact du public, dont certains ont parfois un handicap invisible". Selon le secrétariat d'Etat aux Personnes handicapées, des "prototypes de masques à fenêtre sont aujourd'hui en cours de test pour être mis sur le marché". Dans l'attente, des visières longues en plastique transparent peuvent être préconisées "en respectant une distanciation physique permettant d'assurer la protection des voies respiratoires de particules en suspension". Et pour les personnes dont le handicap rendrait "difficilement supportable" le port d'un masque, une dérogation est désormais possible s'ils disposent d'un certificat médical justifiant de cette impossibilité (article en lien ci-dessous).

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