Mathilde, maman aidante : "Sans aide, on ne va pas tenir !"

A 30 ans, la vie de Mathilde bascule lorsqu'elle apprend que sa fille est atteinte d'une maladie rare. Aujourd'hui formatrice indépendante, elle sensibilise les entreprises sur la prise en compte du handicap et de l'aidance. Témoignage saisissant.

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Mathilde Cabanis et sa fille à l’hôpital.

« On a traversé l'enfer, je n'ai jamais autant souffert que lorsque je voyais ma fille sur le billard. Son enterrement, je l'ai imaginé plusieurs fois. C'était bien plus difficile d'être l'aidant que l'aidé. » A 34 ans, Mathilde Cabanis dévoile son quotidien d'aidante familiale pour mettre en lumière ces 8 à 11 millions de Français qui, dans l'ombre, soutiennent un proche handicapé ou en perte d'autonomie. Témoignage aussi bouleversant qu'inspirant.

Des symptômes peu éloquents

Hortense est un bébé très souriant mais elle dort beaucoup et bouge peu. Quelques mois après sa naissance, son ventre se met subitement à gonfler puis à durcir. « C'est à la sortie du confinement, lorsque j'ai vu d'autres enfants de son âge que j'ai compris que quelque clochait », indique sa mère. Lorsqu'elle emmène sa fille aux urgences en juillet 2020, elle est loin de se douter qu'elle y restera plusieurs mois...

Une errance diagnostique insoutenable

La fillette subit une batterie d'examens (IRM, ponction lombaire...) et de prélèvements sanguins, jusqu'à une dizaine par jour, « y compris à la tête car son corps ne dispose plus suffisamment de sang », pour savoir de quoi elle souffre. Un cancer, une leucémie ? Chaque piste retentit comme un coup de poignard. « Hortense était un bébé soleil, constamment en train de rire, de briller. » Après trois semaines d'hôpital, elle avait troqué son sourire contre des yeux tristes et une « tête de chien battu ». « C'était très violent de la voir souffrir comme ça, d'autant plus qu'il est difficile de communiquer avec un enfant de neuf mois, de savoir ce qu'il ressent », confie sa mère. L'errance diagnostique est de plus en plus insoutenable. « Quand on sait contre quoi on se bat, ça redonne un élan de l'énergie. Mais quand on ne sait pas, c'est paralysant, épuisant. » Et Mathilde sait de quoi elle parle. La jeune femme souffre d'une hémiplégie gauche causée par un AVC survenu lors d'un voyage au Népal. « On a réalisé après coup que j'avais une malformation au cerveau. »

« La greffe ou la mort »

Le verdict pour Hortense tombe en septembre, après une biopsie du foie : « glycogénose de type 4 », une maladie génétique très rare liée à une accumulation de glycogène (une forme complexe de glucides) dans les cellules. Soulagement... ou pas. L'espérance de vie est de deux ans maximum. « Son foie était en train de se transformer en foie gras de canard, il était tout jaune et ne fonctionnait plus. » Elle doit être greffée en urgence. Problème : « en plein confinement, les donneurs se font rare car il y a beaucoup moins d'accidentés de la route ». Son père se révèle finalement compatible, elle obtient un bout de son foie en novembre 2020 pour son premier anniversaire.

« Le couple le moins génétiquement compatible »

« Nous sommes le couple le moins compatible pour avoir un enfant, génétiquement, c'est comme si j'en avais eu un avec mon frère », révèle Mathilde. Pourtant, l'envie d'en faire un second est de plus en plus présente. « Nous avons fait plusieurs tests génétiques in utero pour vérifier que notre second bébé était en bonne santé. Il avait 75 % de chances de l'être, on a pris le risque. Beaucoup de gens ont jugé notre décision mais nous n'avons aucun regret ! Marceau va avoir trois ans et est en très bonne santé. »

« Hortense est redevenue une enfant soleil ! »

Quant à sa sœur, désormais âgée de cinq ans, « quand on la voit courir partout, on ne peut pas soupçonner qu'elle est handicapée (ndlr : à cause des médicaments antirejet, qui fragilisent son système immunitaire). Je n'avais moi-même pas réalisé qu'être greffé était un handicap puisqu'il est invisible », admet la maman. « C'est redevenu un enfant soleil, elle fait du karaté et de la danse, elle est à fond ! », se réjouit-elle. Par ailleurs, « plus elle grandit, plus elle comprend sa situation. J'ai fait un album photo de son hospitalisation et elle est consciente qu'elle subira une ou deux autres opérations similaires au cours de sa vie car les greffes pédiatriques ont une espérance de vie d'environ 40 ans. Ce n'est pas du tout tabou, on parle régulièrement de la greffe, de sa cicatrice. Je lui explique que le handicap n'est pas une fin en soi ».

Un changement de carrière à 360 degrés

Mathilde, quant à elle, a emprunté un chemin bien différent de celui qu'elle avait imaginé. « J'ai dû être mère au foyer pendant plusieurs mois après la greffe d'Hortense car elle était immunodéprimée, il fallait donc limiter les contacts extérieurs, raconte-t-elle. C'était assez violent pour moi, j'avais fait des études, j'adorais mon travail au sein d'une mission handicap et, du jour au lendemain, je me retrouve astreinte à résidence, passant le plus clair de mon temps à cuisiner. » C'est de là que naît son premier projet entrepreneurial. En avril 2022, elle crée « Paupiette », une entreprise de livraison à domicile de plats pour enfants. Aujourd'hui, Mathilde est conférencière et formatrice indépendante. « La maladie d'Hortense a été un déclencheur. » Optimiste, dynamique, c'est toujours avec le sourire et un brin de provocation qu'elle intervient auprès des organisations pour sensibiliser sur la prise en compte du handicap au travail et de la place des aidants familiaux.

Proposer un catalogue d'actions au sein des entreprises

Mme Cabanis invite les entreprises à « investir » dans ces travailleurs, qui ont, selon elle, développé des compétences précieuses : gestion du stress, organisation, résilience, prise de décision rapide, écoute active et empathie... « Il ne faut pas penser qu'ils ne seront pas attentifs au travail à cause de leurs soucis personnels, au contraire, pouvoir parler d'autre chose et se concentrer sur un projet, c'est hyper enrichissant ! » Elle milite pour la mise en place d'une politique dédiée aux aidants au sein de chaque société et d'un « catalogue d'actions » afin de leur permettre de travailler dans les meilleures conditions : soutien financier et moral, accompagnement par une assistante sociale ou psychologue, dons de jours de congés, adaptation des horaires, autorisation de décrocher régulièrement son téléphone pour répondre aux médecins, groupes de paroles, mise en place de télétravail ou encore de référents aidants.

Un statut difficile à reconnaître

Mais, pour y avoir accès, encore faut-il avoir conscience de son rôle. Or, selon le premier baromètre du collectif Je t'Aide, un aidant sur trois ne s'identifie pas comme tel. « Beaucoup de gens pensent que ce statut est réservé aux situations graves, aux proches en fin de vie ou lourdement handicapés, j'ai moi-même mis du temps à comprendre que j'étais plus qu'une 'simple mère qui s'occupait de son enfant avec des besoins spécifiques' et que j'avais besoin de soutien, explique Mathilde. Mais gérer les rendez-vous médicaux, faire les courses, le linge de son parent, c'est aussi être aidant et c'est une charge au quotidien. Il n'y a pas de petite ou grande situation d'aidance, pas de hiérarchie. Chaque situation mérite d'être reconnue et accompagnée et encore plus en entreprise. » Après la prise de conscience, un autre défi se présente : la communication ! 75 % des aidants n'osent pas en parler à leur RH par peur d'être discriminé, observe-t-elle. « Etre aidant, c'est un marathon, si on ne prend pas soin de soi un minimum et qu'on ne demande pas de l'aide on ne va pas tenir. Un sur trois meurt avant son aidé ! », interpelle-t-elle.

© Mathilde Cabanis

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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