Handicap.fr : Vous êtes chargée de mission handicap depuis une vingtaine d'années, et chez Nestlé depuis 2011. Que représentait le handicap pour vous avant d'occuper ce type de poste ?
Valérie Romain : Par chance et par choix, j'ai navigué un peu à droite et à gauche. Mais le handicap est avant tout lié à mon histoire personnelle puisque je suis moi-même malvoyante. À 21 ans, on m'a diagnostiqué une maladie génétique des yeux (maladie de Stargadt). Avant cela, je n'avais jamais été confrontée au handicap. Ensuite, ma vie professionnelle m'y a amenée sans le vouloir, et le lien avec le handicap a débuté en janvier 1998. En arrivant en région parisienne, j'ai eu la chance de croiser la route de la responsable du service « action sociale » de Disneyland Paris. Ma formation sur ce sujet a commencé à ce moment-là.
H.fr : Cette rencontre a été décisive dans votre parcours professionnel.
V.R : À l'époque, il ne se passait pas grand-chose dans les entreprises et je découvrais chez Disney quelqu'un qui s'investissait beaucoup, qui voulait faire bouger les lignes. Ce qu'elle me proposait correspondait à mes valeurs et à mon éthique. Étant moi-même en situation de handicap, j'ai pris connaissance de la législation et de ce qui se faisait ou non. Seules une dizaine d'entreprises se bougeaient parce que la loi commençait à les rattraper sur l'aspect financier. Par la suite, SFR m'a proposé de mettre en place leur premier accord d'entreprise. J'y suis restée trois ans et demi. Ma vie professionnelle a donc été ponctuée de rencontres avec des personnes qui ont bien voulu me faire confiance, qui ont cru en moi et qui, apparemment, ne le regrettent pas. Sinon je ne serais pas ici aujourd'hui !
H.fr : Votre handicap n'a donc pas été un frein pour accéder à l'emploi ?
V.R : Jamais car j'en ai fait un atout. Cette maladie des yeux qu'on m'a découverte à 21 ans, je l'aurai toujours. Contrairement au mariage, qui peut se terminer par un divorce, je ne peux malheureusement pas me séparer de mon handicap. Donc je me suis dit que j'allais le faire bosser et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'il ne fasse rien ! À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi ce handicap me « tombait dessus ». Je pense qu'il y avait beaucoup de colère et d'incompréhension. Il m'a fallu un certain temps pour « digérer la pilule ». Aujourd'hui, je n'ai aucun tabou sur le sujet ; j'ai aussi conscience que mon handicap est invisible. Je m'en sers aujourd'hui pour montrer qu'il est possible de travailler, de positiver… De voir le verre à moitié plein. Dans ma vie professionnelle, je suis amenée à rencontrer des personnes fragilisées, qui sont comme je l'ai été il y a trente ans. Je leur fais souvent part de mon parcours et les aide à cheminer vers ce verre à moitié plein.
H.fr : À quels types d'obstacles êtes-vous confrontée le plus souvent ? Pensez-vous que votre travail soit difficile (en termes de sensibilisation, d'objectifs, de communication…) ?
V.R : Il y a toujours des obstacles, des gens gênés par le handicap ou qui en ont peur. C'est ce qui me donne la force de me battre et d'avancer, même si je ne suis pas là pour défier les autres mais plutôt pour les convaincre d'avancer avec moi pour faire progresser cette belle cause. Durant des décennies, les personnes handicapées ont été « cachées dans les placards », en tout cas ceux qui ont un handicap visible (80% des personnes en situation de handicap ont un handicap invisible). Le fait est que les personnes porteuses d'un handicap invisible sont souvent obligées de se justifier. C'est ce qui m'est insupportable. Personnellement, je ne l'ai pas toujours bien vécu. Puis j'ai décidé d'en parler très ouvertement : je m'en suis servie lors de conférences, l'objectif étant de débloquer des nœuds et de contrer les a priori.
H.fr : Comment vos activités et missions professionnelles influencent-elles votre perception du handicap dans la société ?
V.R : Je ne sais pas si mon histoire personnelle ou ma vie professionnelle ont forgé ma vision du handicap mais, en tout cas, je relativise sur ma situation. Lorsque vous rencontrez des gens très malades, vous n'en menez par large. Il faut parfois « se blinder » pour occuper ce type de poste, surtout si l'on souhaite rester à long terme.
H.fr : Rechercher un emploi ou travailler avec un handicap sera-t-il plus simple dans cinq, dix ans ?
V.R : Difficile de répondre ! J'ai envie d'être pleine d'espoir et de dire oui car la loi de 2005 a quand même beaucoup fait bouger les lignes. Même si le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur à celui des personnes valides, j'ai grand espoir que les choses vont encore évoluer positivement. Si je n'y croyais pas, je n'occuperais pas ce poste. On entend également, de plus en plus, le discours selon lequel les emplois d'aujourd'hui ne seront plus ceux de demain. Aujourd'hui, même les grands groupes réfléchissent à des modes de travail différents. C'est le cas avec le télétravail par exemple. Cela permet aux personnes handicapées d'imaginer une nouvelle ouverture vers l'emploi.
H.Fr : Mais le recrutement de personnes handicapées est-il encore vécu comme une contrainte ?
V.R : Oui, pour beaucoup d'entreprises. Mais, à leur corps défendant, le recrutement est ce qui est le plus compliqué dans le déploiement d'une politique handicap. Quant à la loi des quotas, elle ne devrait même pas exister. C'est regrettable qu'il faille une loi pour permettre à des personnes en situation de handicap d'accéder à l'emploi.
H.fr : Quel est l'intérêt pour vous de recruter via un salon en ligne comme Hello-Handicap.fr (en lien ci-dessous) ?
V.R : C'est une superbe invention. Avec mon expérience, après avoir écumé tous les forums existants, je perdais un peu espoir. En interne, je devais dépenser une énergie incroyable pour mobiliser des recruteurs et des managers, pour trouver du temps et les convaincre de m'accompagner. Hello-Handicap.fr est arrivé et a rendu la tâche plus facile puisqu'il ne fallait plus se déplacer. C'est un gain de temps énorme de pouvoir choisir les créneaux qui nous intéressent le plus. Nous participons cette année pour la troisième fois. Lors des éditions précédentes, nous avons embauché une première personne en CDI, puis une deuxième en CDD.
H.Fr : Vous concernant, comment votre entourage perçoit-il ce que vous faites ?
V.R : Même si je n'aime pas dire ça, mes proches sont admiratifs. Mes amis et ma famille disent que je fais preuve de force et de volonté. En fait, je m'autorise tout et, si je tombe, je me relève… Je me souviens du jour où on m'a annoncé mon handicap. Aujourd'hui, à 50 ans, je me dis que ces 30 années sont passées tellement vite que je compte bien profiter des 30 à venir !