« Devoir écouter des gens qui me disent qu'ils préfèreraient être morts que dans mon 'état' », « Avoir l'AAH comme unique source de revenus et vivre sous le seuil de pauvreté », « Pouvoir lire seulement 8 % des livres publiés en France et utiliser 10 % des sites Internet », « Ne pas être assez valide pour travailler mais ne pas être assez handicapé pour ne pas travailler », « Se faire traiter d'ingrat quand tu as le toupet d'exprimer un mécontentement ou de dénoncer une atteinte à tes droits »... Depuis plusieurs jours, des centaines de personnes handicapées s'expriment sur les réseaux sociaux avec le hashtag #MonPrivilègeHandiPréféré. Certaines en ont assez d'entendre que le « handicap est une chance », d'autres réclament d'être traitées à leur juste valeur et non réduite à un « parasite » ou une « feignasse ». Un privilège ? C'est une ironie... Car ce sont bel et bien des discriminations qu'elles dénoncent. Une petite mise au point s'impose !
Société non adaptée
« Quand je sors des toilettes publiques avec mon auxiliaire de vie (un mec) sous les regards suspicieux, comme si on avait fait des 'cochonneries'. 'Non, j'ai juste pissé et j'ai besoin d'aide, point !' », s'agace une jeune femme. « Quand ma banquière me bloque tous mes comptes car je ne réponds pas aux rendez-vous téléphoniques. Je suis malentendante, je lui dis à chaque fois et elle continue », surenchérit une autre. Ce hashtag libérateur a été initié par celle qui se définit comme « militante » et « féministe » avant d'être handicapée, Leila Warlock, aux côtés de la revue Women who do stuff. Son privilège préféré ? « Fournir des efforts démesurés pour survivre dans une société qui n'est pas adaptée et qui nous le reproche. Entendre que la sélection naturelle aurait dû se faire pour moi ». Le ton est donné, un vent de revendications souffle sur Twitter... Il fait suite au hashtag #Disabledcompliments, lancé quelques jours plus tôt par Imani Barbarin, auteure et militante américaine, qui recense les pires « compliments » que les personnes handicapées aient jamais reçus. « Tu es tellement courageuse », « Tu es une source d'inspiration ! », « Mais pourtant, tu n'as pas du tout l'air d'un autiste »... Des messages maladroits et blessants. Face à cette mobilisation massive, un second hashtag est devenu viral : #WhenICallMyselfDisabled. Les personnes handicapées expliquent les raisons pour lesquelles elles assument pleinement l'appellation « handicapé » et en profitent pour faire une piqûre de rappel sur sa définition. « La définition est 'une personne ayant un état physique ou mental qui limite les mouvements, les sens ou les activités'. Il n'y a pas de connotation négative au mot handicap et je souhaite que la société cesse d'essayer d'en faire une », précise une jeune femme.
Handicaps invisibles, douleurs bien présentes
En France, plusieurs thèmes sont particulièrement récurrents, à commencer par les handicaps invisibles qui, pour rappel, représentent 80 % des handicaps. L'objectif : montrer que le handicap ne se limite pas à un fauteuil roulant. « #MonPrivilègeHandiPréféré c'est de devoir sans cesse expliquer que ce n'est pas parce que c'est invisible que c'est sans gravité », déplore un internaute. « Que personne ne me laisse m'asseoir dans les transports parce que je n'ai pas l'air handicapé », « Devoir se justifier, se sentir coupable, y compris face aux médecins, car la maladie est invisible », « Devoir supporter les réflexions de valides qui décrètent que je ne suis pas vraiment handicapée parce que je marche », s'exaspèrent trois autres. Tandis qu'un jeune homme pointe du doigt « la condescendance, le mépris, l'infantilisation et les questions indiscrètes »... Certains ont également fait face au déni de certains médecins, professionnels ou même proches. Manque de sensibilisation, de compréhension, d'empathie ? « S'entendre dire : 'Tu n'es pas dys, tu es juste idiote' », témoigne une femme. « Avoir passé des années à penser que j'étais faible et incapable de me prendre en main, tout ça parce que mon handicap n'avait pas été diagnostiqué », exprime une autre.
Travailler : rêve ou réalité ?
Pour beaucoup d'entre eux, trouver un emploi relève du parcours du combattant. « N'avoir jamais eu un boulot à 33 ans et qu'on me répète que je n'ai pas de frein à l'emploi et qu'il faut que j'y mette du mien », « Cacher mon handicap pour pouvoir trouver un job », « Ne pas pouvoir avoir de travail à cause de la stigmatisation de mon handicap »... Autant de témoignages qui mettent en exergue les « défaillances » des entreprises et le manque d'adaptation. Quant au maintien dans l'emploi, s'il est souvent oublié du débat public, les internautes sont là pour remettre le sujet sur la table. « Au lieu de me réjouir d'avoir trouvé un travail après des mois de galère, s'inquiéter et angoisser car on ne sait pas si on va réussir à le garder et même à passer la période d'essai ». Le rapport au corps et à l'intimité est également prégnant. Certains désapprouvent « d'avoir des câlins de n'importe qui, n'importe quand parce que quand t'es en fauteuil roulant ton corps ne t'appartient plus vraiment », ou encore « que des inconnus me prennent par le bras, me caresse la joue car, c'est bien connu, une canne rend le corps public. La notion d'intimité quand tu es handicapé, c'est surfait ! », ironise une jeune femme. « Les gens me prennent pour un gosse ou un chien et me caressent la tête tranquillement », se désole un autre.
Témoigner pour sensibiliser
Certains témoignages, particulièrement poignants, sont difficiles à digérer... « Avoir été violée par un compagnon violent pendant un an parce que, selon lui, 'l'endométriose, ça ne fait pas si mal' et entendre de la part des médecins à qui je demandais de l'aide 'Prenez un doliprane avant les rapports, il ne faut pas le frustrer' ». Des insultes aux abus des employeurs, des maltraitances médicales aux agressions sexuelles, des regards désobligeants à la fatigabilité... La parole se libère, les langues se délient pour évoquer des sujets sensibles de manière cash et sans filtre. L'enjeu majeur : éveiller les consciences et sensibiliser le grand public. Et si le handicap n'était plus le premier facteur de discriminations en 2019 ? Il y a encore du boulot... On lance un hashtag ?