L'autisme, nouveau « joker » anti-boycott ? Ces derniers mois, le rappeur américain Kanye West est en « roue libre » : vente de tee-shirts avec des croix gammées, apparition avec sa femme à moitié nue sur le tapis rouge de la cérémonie des Grammy Awards à l'issue de laquelle il affirme la « dominer », posts antisémites et autres publications sulfureuses sur les réseaux sociaux... Il n'y a pas un jour où l'artiste de 47 ans ne fait pas parler de lui. En février 2025, le chanteur annonce, dans le podcast « The Download » de Justin Laboy, avoir été diagnostiqué à tort bipolaire neuf ans plus tôt, et être finalement « atteint d'autisme ».
« L'autisme n'excuse pas tout ! »
Chams-Ddine Belkhayat, papa d'un enfant autiste et auteur du livre Autisme, comprendre pour mieux accompagner, s'interroge, tout d'abord, sur l'intérêt « public et médiatique » de divulguer son diagnostic. « Ces informations d'ordre médical sont privées, considère-t-il. Cherche-t-il à attirer la sympathie ou à justifier certains comportements ? » Récemment, ce sont les proches et les partisans du fantasque homme d'affaires Elon Musk qui ont expliqué son geste s'apparentant à un salut nazi, lors de l'investiture de Donald Trump, par son « syndrome d'Asperger ».
Une méconnaissance des codes sociaux « peu probable »
« Les personnes autistes méconnaissent effectivement certains codes sociaux et peuvent parfois en avoir un usage inapproprié mais, au vu de l'expérience médiatique et de la connaissance du débat public d'Elon Musk, cette piste semble peu probable, estime Chams-Ddine Belkhayat. Elles peuvent également avoir des stéréotypies gestuelles, comme le 'flapping', le fait de battre rapidement des mains. » Cette technique permet notamment de synchroniser les informations reçues et de réguler les émotions. « Mais ce 'salut' ne correspond pas au champ des gestuelles atypiques permettant d'autoréguler son niveau sensoriel », assure-t-il. Idem pour Kanye West qui « a exhibé sciemment, et non par méconnaissance des codes sociaux, sa femme avec une robe transparente, et avec une visée commerciale visiblement puisqu'il a évoqué l'idée de vendre cette tenue », poursuit M. Belkhayat qui incrimine sa personnalité, son caractère, ses choix, plutôt que son handicap.
« L'autisme n'empêche pas de faire la différence entre le bien et le mal »
« L'autisme n'excuse pas tout ! », confirme Marie-Maude Geoffray, psychiatre, praticienne hospitalière et chercheuse clinicienne. « Une personne autiste avec le niveau verbal et intellectuel d'Elon Musk ou de Kanye West comprend tout à fait que certaines choses se font et d'autres non, insiste-t-elle. Les TSA (troubles du spectre autistique, ndlr) n'empêchent pas de comprendre qu'on ne doit pas faire de mal à son prochain, ni de faire la différence avec le bien. Donc ça n'excuse en rien leurs gestes. »
Une mise à mal de la perception de l'autisme
Sur YouTube, Urbania, un média de société qui « déboulonne les préjugés », est intraitable avec ces « deux figures publiques qui se servent de leur diagnostic comme d'un joker ». « Qu'est-ce que l'on doit comprendre ? Que poser entre treize et quinze actes répréhensibles (sur les réseaux sociaux, ndlr) par jour serait un effet secondaire de l'autisme ? Que lorsqu'on est sur le spectre, ça s'accompagnerait de sortes de spasmes qui nous feraient faire des saluts nazis involontaires ? », interroge-t-il, mettant en exergue « le degré d'absurdité de tous ces liens de causalité ». Le groupe, basé à Montréal (Québec) mais présent en France depuis 2020, déplore une « mise à mal de la perception générale de l'autisme qui est déjà assez fragile », rappelant le temps « pas si lointain » où ce mot était « utilisé comme une insulte » et appelant à « prendre la santé mentale au sérieux ».
À trop vouloir attribuer certains dérapages aux TSA, on finit par déresponsabiliser ceux qui les commettent… et par responsabiliser, à tort, le handicap lui-même. Autrement dit, on dédouane des individus de leurs actes tout en faisant peser le blâme sur un trouble qui souffre déjà d'idées reçues. Un diagnostic n'est pas un bouclier moral.
Envie d'en savoir plus ? Découvrez notre article qui met en lumière la frontière parfois floue entre les troubles psychiques et autistiques : Kanye West : de la bipolarité à l'autisme, frontière floue?.
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