« J'ai fini par découvrir que j'étais en fait atteint d'autisme », a récemment révélé le rappeur américain Kanye West dans le podcast « The Download » de Justin Laboy, neuf ans après avoir déclaré sa bipolarité. Il est addict à l'attention médiatique, connu pour ses frasques plus que pour ses chansons, fait polémique à chacune de ses apparitions... La santé mentale de celui qui a récemment déclaré être « nazi » sur X et incité sa femme à apparaître à moitié nue sur le tapis rouge des Grammy awards* fascine autant qu'elle inquiète. Et elle risque encore de faire couleur beaucoup d'encre...
Des dissemblances qui ont mis la puce à l'oreille
C'est sur les conseils de sa femme, Bianca Censori, que l'artiste de 47 ans a décidé de consulter un nouveau médecin, invoquant une différence entre ses symptômes et ceux des autres personnes bipolaires de son entourage. Un nouveau verdict tombe : « autisme ». « Je n'ai pas pris de médicaments depuis que j'ai découvert ce nouveau diagnostic, confie-t-il dans le podcast. Il s'agit de trouver un traitement qui ne bloque pas la créativité, c'est ce que j'apporte au monde. »
Définition des troubles bipolaires et autistiques
Les troubles du spectre de l'autisme et les troubles bipolaires répondent à des critères spécifiques, établis dans le DSM-5, « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques », publié en 2013 par l'Association américaine de psychiatrie. Les TSA, catégorisés comme des troubles neurodéveloppementaux (TND), sont ainsi définis dans deux dimensions symptomatiques majeures : « les déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés ainsi que le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités ». La bipolarité, reconnue comme un trouble psychique, se caractérise quant à elle par l'alternance d'épisodes maniaques et dépressifs. Les professionnels de santé, majoritairement des (pédo)psychiatres, se basent sur ces critères pour établir un diagnostic. Alors comment expliquer cette confusion, plus fréquente qu'il n'y paraît ? Des experts réagissent à cette annonce...
7 % des personnes autistes présentent des troubles bipolaires
« Ces troubles peuvent en effet être associés », atteste Marie-Maude Geoffray, psychiatre, praticienne hospitalière et chercheuse clinicienne. « Il n'est pas rare que des personnes autistes verbales, avec un bon niveau intellectuel, développent des troubles bipolaires, ou d'autres troubles psychiques chroniques, liés à leurs difficultés dans les codes sociaux et à une société qui leur est peu adaptée. » En effet, 20 % présentent des troubles anxieux, 11 % des dépressions et 4 % une schizophrénie, selon une analyse publiée dans The Lancet psychiatry en 2019. « 20 % des personnes avec autisme sans déficience intellectuelle présentent aussi des troubles bipolaires (source : Lugnegard & al, 2011 et Marin & al, 2018) », indique Mme Rémond. Une autre étude, particulièrement vaste, menée sur 700 000 personnes en 2021, révèle qu'ils sont six fois plus importants chez la population autiste (« Comorbidity of bipolar disorder and autism spectrum disorder - review paper »).
Hausse des « doubles diagnostics »
L'Unafam, association de proches de personnes avec un handicap psychique, observe une hausse de ce « double diagnostic » au fil des années. « La plupart du temps, les TSA ont été découverts à la suite d'une entrée dans la maladie psychiatrique, relève sa présidente Emmanuelle Rémond. Plusieurs personnes ont ainsi éprouvé un trouble anxieux majeur, voire une décompensation psychotique, avant de découvrir leur autisme. »
Des signes cliniques communs
Cette erreur diagnostic peut également s'expliquer par la présence de signes cliniques communs : irritabilité intense, distractibilité, troubles du sommeil, difficultés à organiser ses pensées... « Certaines personnes autistes vont se montrer soudainement très enthousiastes et prolixes sur un sujet précis (la géographie, les trains, le Japon, l'informatique par exemple). Ce qui peut s'apparenter à la phase 'up' ou maniaque d'un trouble bipolaire. Elles peuvent aussi tout à coup être très isolées, de par leurs difficultés dans les relations sociales, et développer une dépression, ce qui peut s'apparenter à la phase 'down' de la bipolarité, détaillent les experts. De même, les personnes schizophrènes présentent des symptômes dits 'positifs', comme les hallucinations, et 'négatifs', comme l'incapacité à faire et le repli sur soi, que l'on appelle d'ailleurs le 'repli autistique'. »
Un diagnostic qui comprend une part de subjectivité
« La frontière entre troubles psychiques et TND est parfois très fine, confirme le Professeur Geoffray. Donc un spécialiste qui connaît d'avantage les troubles bipolaires, et moins l'autisme, va plutôt avoir tendance à opter pour ce premier diagnostic. Et inversement. » Ainsi, la psychiatre a reçu plusieurs patients ayant été déclarés bipolaires au lieu d'autistes. « Mais c'est de plus en plus rare », notamment grâce à un « gros travail de sensibilisation effectué sur la Métropole de Lyon », se félicite cette cheffe du service « Neurodéveloppement, réhabilitation, intervention et suivi chez l'enfant (Sunrise) » au centre hospitalier du Vinatier de Bron, près de Lyon. « C'est toute la difficulté avec ce genre de troubles : on ne peut pas faire une IRM pour prouver l'existence d'une lésion. Le diagnostic repose sur un examen clinique, c'est-à-dire sur l'observation, et l'avis d'un médecin, qui s'appuie, certes, sur des échelles internationales standardisées, mais comprend aussi une part de subjectivité », reconnaît-elle. L'experte insiste donc sur l'importance de « bien former » les professionnels de santé, notamment sur « l'existence d'une comorbidité entre ces deux handicaps et la possibilité qu'on les confonde ».
L'autisme, une « mode » ?
Et si les médecins étaient également influencés par leurs patients ? Certains dénoncent des « diagnostics abusifs », à l'image de Josef Schovanec, écrivain et philosophe autiste, qui déplorait, dans notre interview en 2020, que certains médecins, face à la pression exercée par des patients, « cédaient à leurs demandes » (Schovanec : "Autisme adulte, trop de diagnostics abusifs"). L'autisme serait-il devenu une mode ? « Ce diagnostic est en tout cas très recherché actuellement car vu comme plus stable et donc plus rassurant, constate Marie-Maude Geoffray. A contrario, les troubles psychiques font encore 'peur' et sont victimes de nombreux préjugés (Maladie psychique : première douleur, la stigmatisation !). »
Solliciter l'avis d'un autre psychiatre
Le hic ? « Une erreur de diagnostic peut avoir des conséquences sur la prise en charge, notamment en suivant un traitement qui peut être contreproductif », alerte-t-elle, appelant « au moindre doute » à solliciter l'avis d'un second, voire d'un troisième, psychiatre. Pour rappel, première étape en cas de suspicion de TSA ou de troubles psychiques : consulter un médecin traitant qui pourra adresser les patients à des spécialistes.
Des centres experts pour être informé ou pris en charge
En parallèle, les 26 Centres ressources autisme (CRA) présents en France et la plateforme d'écoute « Autisme info service », ainsi que les associations spécialisées, apportent des informations précieuses aux personnes concernées et à leurs proches. De même, la fondation FondaMental a ouvert plusieurs « centres experts ». Ce dispositif spécialisé intervient « en renfort de la psychiatrie de premier recours pour la prise en charge des troubles psychiatriques les plus sévères » et de l'autisme. Il propose aux patients disposant du courrier d'adressage d'un médecin (généraliste, psychiatre, spécialiste) « un parcours de soin unique, qui intègre une expertise médicale de pointe et la participation à la recherche ». Objectif ? Éviter l'aggravation des troubles et la survenue de pathologies associées.
Entre confusion des diagnostics et influence médiatique, le « cas Kanye West » illustre un enjeu crucial : l'autisme et la bipolarité ne sont pas des étiquettes à revendiquer mais des réalités médicales nécessitant une prise en charge adaptée.
* Cérémonie qui récompense chaque année les meilleurs artistes et techniciens dans le domaine de la musique
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