Par Isabelle Tourné
Isabelle Richard est "en apnée". Après des années de recherches, cette spécialiste des myopathies va enfin assister à un essai sur l'homme pour développer une thérapie génique. "C'est pour nous une nouvelle étape qui s'ouvre", dit pudiquement à l'AFP cette chercheuse du Généthon -le laboratoire de l'AFM-Téléthon-, évoquant un tournant "crucial" pour tenter de guérir une forme de myopathie, sur laquelle elle travaille depuis plus de trente ans.
Injecter un gène-médicament à 40 patients...
La myopathie, causée par des mutations génétiques, se caractérise par une dégénérescence progressive des muscles du bassin et des épaules qui conduisent à une perte de motricité des membres supérieurs et inférieurs. Dans quelques semaines, des essais cliniques vont démarrer pour tester sur l'homme une thérapie génique visant à guérir l'une des trente formes de cette maladie : la myopathie, ou dystrophie, "des ceintures", spécifiquement liée au gène FKRP. Une quarantaine de patients devraient être inclus dans l'essai en France, mais aussi au Danemark et en Grande-Bretagne, les autorités sanitaires compétentes ayant donné leur autorisation pour les démarrer. Cette nouvelle étape clé permettra peut-être in fine la commercialisation d'un traitement de thérapie génique. Celui-ci consiste à administrer aux malades, via une unique injection, un gène-médicament, pour corriger une anomalie.
... un long chemin semé d'embûches
A ce jour, 17 médicaments de thérapie génique sont homologués, dont 5 ont été directement soutenus par l'AFM-Téléthon. Mais avant de mettre au point un traitement et de lancer un essai, le chemin est long, parfois semé d'embûches. Les chercheurs doivent d'abord trouver l'origine de la maladie et en comprendre les mécanismes. Si la pathologie est d'origine génétique, ce qui est le cas de la majorité des maladies rares, il faut identifier le ou les gène(s) porteur(s) d'anomalies. Dans le cas de la myopathie des ceintures à FKRP, le gène défaillant a été caractérisé en 2001, raconte Evelyne Gicquel, chercheuse au Généthon, pionnier du décryptage du génome humain, dans l'un des nombreux laboratoires du bâtiment, à Evry-Courcouronnes (sud de Paris). Diverses études précliniques ont ensuite été menées sur des souris. Objectif : apporter la preuve de l'efficacité du traitement envisagé, évaluer son absence de toxicité, définir les doses optimales.
Résultats encourageants sur la souris
"Après le transfert du gène, on voit bien que le muscle de la souris revient à un état normal", s'enthousiasme Evelyne Gicquel en montrant le résultat de biopsie musculaire de l'animal. De même, des tests mesurant la force du rongeur qui tente de s'échapper après qu'on lui a pincé la queue prouvent que "le traitement fonctionne bien". Deux mois après avoir reçu l'injection, les souris testées ont retrouvé un niveau de force musculaire optimal. Ce qui laisse espérer des résultats encourageants chez l'humain. Sur l'homme, les essais seront échelonnés : une dose spécifique sera administrée à un premier groupe, puis une dose différente à un second groupe. "On injecte, on regarde ce qui se passe chez le premier patient, puis on injecte sur un autre", explique Mme Gicquel.
Risques de complication
Le risque, ce sont des complications... Un essai clinique de thérapie génique visant à traiter la myopathie myotubulaire, une maladie affectant environ un enfant sur 50 000, a ainsi été suspendu en septembre à la suite du décès de quatre enfants. Pour d'autres petits patients, ce même essai s'est révélé concluant, certains ont été en mesure de se passer progressivement d'assistance respiratoire après l'injection, ou ont carrément découvert l'usage de leurs jambes.
Le choix de chercher un traitement pour telle ou telle pathologie- on recense au total plus de 7 000 maladies rares- se fait en fonction de plusieurs critères. "On s'attaque aux maladies cousines des premiers succès pour se servir des savoirs acquis et ensuite les transposer à d'autres, explique à l'AFP Frédéric Revah, le directeur général du Généthon. L'expertise des équipes est aussi un critère important. Mais le nerf de la guerre, ce sont les financements, insiste-t-il. Il faut trouver les moyens de développer des thérapies qui peuvent sauver la vie de patients mais pour lesquelles il n'y a pas de modèle commercial."