Une « cascade de crises » met en danger les progrès mondiaux visant à garantir les droits des personnes handicapées. C'est l'avertissement d'António Guterres, secrétaire général de l'ONU, le 13 juin 2023. Les 186 pays membres sont réunis du 13 au 15 juin au siège des Nations unies à l'occasion de la 16ème Conférence des Etats parties à la Convention relative aux droits des personnes handicapées (COSP16). Cet événement, qui se tient tous les ans à New York depuis 2008, permet de discuter de la mise en œuvre de ce texte fondateur, référence internationale non négociable. En 2023, le thème porte sur « L'harmonisation des politiques et stratégies nationales avec la CDIPH : accomplissements et défis ». Elle réunit les agences de l'ONU, des membres de la société civile et des organisations non-gouvernementales. Objectif ? Un « dialogue interactif » entre toutes les parties.
La France au rendez-vous
Une délégation française a fait le déplacement, menée par Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée aux Personnes handicapées, et composée, notamment de Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Le militant associatif Jean-Luc Simon est lui aussi de la partie qui, au titre de DPI Europe (Disabled peoples' international), modère une table ronde sur le thème « Des institutions à la communauté : promotion de la vie autonome »*. Il s'agit d'une discussion sur la désinstitutionalisation basée sur les expériences des personnes vivant avec un handicap qui mènent leur propre vie et les réseaux ou pratiques qui les ont responsabilisées (conseil par les pairs, amis, collègues, famille...).
Accélérer le rythme
Désinstitutionalisation, qui rime avec pleine inclusion et participation active des personnes handicapées dans toute leur diversité, c'est bien le cap, la pierre angulaire, l'obsession de cette convention, ressassée sans relâche par l'ONU, qui, si elle n'est pas mise en œuvre, constitue une « forme de violence ». Et, pourtant, dans les faits ? A l'occasion de cet événement, Geneviève Darrieussecq prend la parole réitérant son objectif de « défendre le respect de la dignité, des droits et des libertés fondamentales des personnes handicapées et le principe d'une société inclusive et accessible à tous ». Alors, forcément, sur les réseaux sociaux, certains voient rouge rappelant qu'en septembre 2022 le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU repartait au combat contre l'institutionnalisation en vigueur partout dans le monde ; la France était, comme la majorité des pays signataires, dans son collimateur, encouragée à profondément métamorphoser son système (Lire : ONU et handicap : nouvelle offensive contre les institutions).
Dans ce contexte, António Guterres exhorte chacun à « faire beaucoup, beaucoup mieux », ce qui « concrètement, signifie qu'il faut changer les mentalités ». Son credo : « accélérer le rythme ». Deux autres axes prioritaires : l'accessibilité numérique pour ne « laisser personne hors ligne » et l'accès égal aux services de santé sexuelle et reproductive, une question qui a été « profondément négligée ».
Des échanges électrisants
Le dialogue, dans des salles bondées, à l'ambiance électrisante, se construit en plénière mais aussi dans les couloirs ou tard dans la soirée. C'est « the place to be », une opportunité pour rencontrer des experts venus du monde entier et échanger sur les bonnes pratiques et, pourquoi pas, fomenter des idées révolutionnaires. « C'est toute la force des relations établies entre les ONG internationales et l'ONU, cela montre le chemin dans lequel les États sont encouragés à s'engager », explique Jean-Luc Simon. « Cet événement est utile pour que notre ministre prenne conscience de ce qui se joue aux Nations Unies, de la force du mouvement qui a obtenu cette législation internationale qui s'impose maintenant aux Etats », ajoute-t-il. Selon lui, « au terme de la mandature de notre CNCPH (ndlr : qui s'achève début juillet 2023), cette conférence est le cadre idéal pour en tirer des perspectives » ; rappelons que Jérémie Boroy, son président, défend une autoreprésentation totale avec un conseil à 100 % composé de personnes handicapées (Lire : Futur CNCPH : des personnes handicapées et rien d'autre?).
« Nous sommes la crise »
A New York, c'est la crise ou plutôt les crises qui sont dans toutes les bouches et les esprits. Le chef de l'ONU reconnait que les personnes handicapées « sont souvent les premières et les plus durement touchées » dans « toutes les situations d'urgence, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles, de pandémies ou de conflits armés, d'inflation » et celles qui « perdent la vie dans des proportions bien plus importantes ». Dans le contexte actuel, « les progrès accomplis risquent de s'inverser ». Il alerte notamment sur le sort des femmes et des jeunes filles en situation de handicap « qui sont plus susceptibles de subir des violences et des abus, d'être confrontées à la discrimination et de rester piégées dans la pauvreté ». Elle a bon dos la crise ? « Vaste sujet, presque un marronnier, conclut Jean-Luc Simon. J'ai tendance à dire que, oui, nous sommes la crise, nos vies sont marquées de multiples et quotidiennes crises. Alors nous sommes finalement des experts en la matière. »
Deux rendez-vous à venir…
*Le thème de la vie autonome sera également au programme d'un forum que Jean-Luc Simon animera le 6 juillet 2023 (13h30 à 16h30) lors du 10e Congrès de l'AIFRIS (Association internationale pour la formation, la recherche et l'intervention Sociale) qui se tient du 3 au 7 juillet à Paris 11 (145 avenue Parmentier).
De son côté, la Coordination handicap et autonomie et ENIL organisent le 26 juin une journée de conférence en ligne sur le thème « Assistance personnelle et désinstitutionalisation ». L'occasion de comparer les pratiques européennes et le contexte français. Programme et inscription sur ap2023.coordination-handicap-autonomie.com