La fille de Nathalie* avait 14 ans lorsqu'elle a bénéficié pour la première fois de soins en orthodontie pour aligner sa dentition. Atteinte d'une maladie rare qui entraîne un polyhandicap, Léa* avait des dents « qui se chevauchaient, entraînant une difficulté d'accès au brossage, des inflammations régulières, identifiées très tôt par les dentistes », affirme sa maman. Comme elle, 90 % des personnes en situation de handicap ont des problèmes de gencives contre 35 % dans la population générale (article en lien ci-dessous). Et que dire des soins en orthodontie qui sont bien souvent totalement délaissés en cas de handicap ? En cause, les peurs mutuelles, tant du côté des patients que des professionnels. Probablement aussi l'idée reçue selon laquelle le traitement orthodontique est secondaire car lié à une question d'esthétique... qui ne serait donc pas l'apanage de certaines personnes en situation de handicap ? Comme toutes les jeunes filles de son âge, Léa manifestait l'envie de soigner son apparence. « Elle est peut-être malvoyante mais reste sensible au regard des autres. C'est une jeune fille très souriante, coquette. Pour nous, il était important qu'elle ait un sourire comme tout le monde », insiste Nathalie.
Des refus avant de trouver un spécialiste
Commence alors pour cette famille un vrai parcours du combattant pour dénicher le praticien qui accepte de recevoir Léa et que la jeune fille accepte à son tour. « Pour elle, les rendez-vous chez le dentiste se résumaient à une expérience assez négative, avec beaucoup de bruits anxiogènes et d'attente », poursuit sa maman. N'ayant pas trouvé de solution à l'hôpital, les parents de Léa se mettent en quête d'un cabinet en ville, à proximité de leur domicile. Ils essuient d'abord plusieurs refus de spécialistes, « n'ayant manifestement pas l'habitude d'accueillir des patients avec un handicap comme celui de notre fille »... avant de tomber sur la perle rare ! « La principale difficulté venait du fait que Léa ne parle pas et peut décider de ne plus ouvrir la bouche lorsqu'elle a peur », explique Nathalie. Une fois franchie l'étape de sélection du praticien, vient l'heure du soin, qui a la particularité d'être particulièrement intrusif. « Il y a une relation plus forte entre le dentiste et son patient qu'entre le médecin et son patient. Vous êtes en contact direct, vous lui imposez votre odeur, votre main dans sa bouche », explique le docteur Jacques Dahan, orthodontiste en libéral, attaché à l'hôpital Robert Debré à Paris. Il a été formé par Rhapsod'if, un réseau de prévention, formation et soins dentaires adaptés au handicap qui a également pour mission d'aiguiller les familles mais n'est présent qu'en Ile-de-France. Ailleurs, de trop rares dispositifs comme Dentaly, Handident dans les Hauts-de-France, le programme MT'Dents dans le Vaucluse ou encore le Breizh bucco bus dans le Finistère (article en lien ci-dessous) proposent également un accompagnement.
Des praticiens formés
Si Rhapsod'if fournit justement des indications liées aux spécificités du handicap, « chacun y va surtout de son astuce », détaille le professionnel de santé, avouant au passage qu'une intervention sur quatre avec une personne en situation de handicap peut se solder par un échec. Pour lui, le secret d'un soin réussi tient à un savant mélange entre fermeté et bienveillance. Le patient doit être mis en confiance mais rien ne sert de négocier, l'opération doit être réalisée de manière rapide et efficace « pour qu'il n'y ait pas de réflexion autour de la douleur ». Dans de nombreux cas, le docteur Dahan doit recourir à l'usage du Meopa, un gaz médicinal anxiolytique et analgésique, ou plus rarement des anesthésies générales quand le patient est trop agité. De manière générale, l'orthodontiste qui accueille un patient handicapé doit savoir faire preuve de flexibilité. « Pour la pose de l'appareil dentaire, la spécialiste a collé une bague par séance pour rendre l'intervention plus supportable pour Léa. Elle s'est complètement adaptée à la situation », affirme Nathalie. SantéBD, sur le thème « Dentiste et orthodontie » (en lien ci-dessous), conçue par l'association CoActis santé, constitue à ce titre un support intéressant, validé par de nombreuses familles comme celle de Léa. Ce type d'outils qui explique comment se passe la consultation avec du texte en facile à lire et à comprendre (FALC) et des illustrations peut ainsi lever un certain nombre d'appréhensions. « Pour ma fille, qui est aussi déficiente visuelle, je peux lui lire le texte qu'elle comprend. Le déroulé pour moi est une information capitale », ajoute Nathalie.
L'importance de la relation praticien-parents
De son côté, le docteur Dahan accorde beaucoup d'importance à la relation praticien-parents : « J'ai une méconnaissance des pathologies, je m'exprime comme un technicien, je sais simplement aligner les dents. Tout repose donc sur les parents qui en savent bien plus que moi sur le handicap de leur enfant. Par exemple, nous posons, dès la naissance d'un enfant avec trisomie 21, des petites plaques au niveau du palet. Pour réaliser ce soin, nous avons besoin du père ou de la mère pour le tenir ». Pour les professionnels, comme pour les familles, les traitements en orthodontie demandent beaucoup de temps. « Or, il n'y a pas que cela dans le parcours de santé des personnes polyhandicapées, il y a tous les autres suivis médicaux (orthopédie, ophtalmo, gastro…), paramédicaux (orthophonie, kiné, psychomotricité…), sans parler des soins quotidiens. D'où la nécessité d'être plus accompagné dans la recherche de praticiens de proximité pour que cela soit moins un parcours du combattant », fait remarquer la mère de Léa.
« Besoin de temps et de moyens supplémentaires, complète le Dr Dahan. Si un supplément de consultation remboursé 100 euros par l'Assurance maladie est proposé aux dentistes qui reçoivent des patients en situation de handicap lourd (article en lien ci-dessous), il faut donner envie au praticien en renforçant peut-être la pédagogie autour des formations », souligne-t-il. « Il faut que tout le monde se mobilise autour de ce sujet, que tous les accompagnants, y compris les auxiliaires de vie, tous les professionnels de santé soient sensibilisés à la santé bucco-dentaire car, aujourd'hui, en tant que parent, il faut encore se battre pour aller chercher les traitements. On parle de plus en plus d'inclusion, il est donc important que nos enfants aient accès aux mêmes soins que les autres », conclut Nathalie.
*Les prénoms ont été modifiés