Handicap.fr : Qu'est-il arrivé ce lundi 6 juillet sur le parking de votre commerce de Barcelonnette ?
Carine Claro : Dès cinq heures du matin, mon mari, Jérôme, est monté dans une nacelle et a déployé sa banderole « Tous avec Romain ». Je me suis postée au pied avec un autre message : « Autisme, arrêtez ce massacre. La France a 50 ans de retard ». Il n'était pas question qu'il en redescende avant d'avoir obtenu une réponse de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) des Alpes-de-Haute-Provence. Nous avons commencé à négocier avec sa présidente vers 10h ; elle promettait que notre dossier allait repasser en commission dans quelques jours mais nous nous voulions, pour mettre fin à notre action, un engagement ferme.
H.fr : Pourquoi une action aussi radicale ?
CC : Une semaine auparavant, nous avions reçu une notification de la MDPH disant que Romain, notre fils âgé de 12 ans, avec des troubles autistiques, était orienté, pour sa rentrée en 6e, en SEGPA (Section d'enseignement général et professionnel adapté) à Digne-les-Bains. Un internat à 1h30 de chez nous alors qu'il est inscrit au collège de Barcelonnette, juste à côté, avec une proviseure tout à fait prête à le recevoir. J'ai appelé son instituteur, un type formidable, qui m'a répondu « Qu'est-ce qu'ils nous font ? ». Tout s'est tramé dans notre dos sans jamais que l'on ne nous demande notre avis…
H.fr : Vous auriez certainement pu obtenir un recours par des moyens plus « légaux »…
CC : Oui, peut-être, pourquoi pas, en se battant comme des diables tout l'été, en multipliant les recours, en allant même jusqu'au tribunal. Cela peut prendre des mois et l'issue n'est jamais certaine. Il n'était pas question que Romain manque sa rentrée. Nous ne serions pas les premiers parents à ne pas être écoutés, à nous retrouver avec des notifications que nous n'avons pas demandées. La MDPH aussi me disait ne pas m'inquiéter, même si elle ne se montrait pas très compréhensive. Mais il y a un moment où les parents en ont marre de se battre et optent pour des moyens plus radicaux. Mon mari et moi étions dans une incompréhension totale, vraiment désespérés ! Au point qu'il était prêt à commettre l'irréparable.
H.fr : Mais si tous les parents se mettent à monter sur des grues…
CC : Et si c'est le seul moyen de se faire entendre ? Nous avons perdu toute confiance dans ce système. Cela a commencé il y a deux ans lorsqu'on a enfin posé un diagnostic d'autisme pour Romain. C'était inscrit noir sur blanc depuis longtemps dans tous ses dossiers mais personne ne nous disait rien, on nous laissait dans une totale errance. Il a perdu pas mal de temps en psychiatrie ; j'ai fait confiance jusqu'au jour où je me suis rendu compte qu'il régressait, qu'il se faisait mal, développait des TOC. Alors je l'ai sorti de là, me suis rapprochée d'associations sur l'autisme, j'ai arrêté de travailler, tenté la méthode comportementale ABA. Romain a toujours été scolarisé en milieu ordinaire avec la présence d'une AVS. Et ça fonctionne… Aujourd'hui, il est heureux, épanoui et ne cesse de progresser. Il fait même partie d'un club de foot. Vivre loin de notre fils qui a tant besoin de sa famille, de son frère, nous est insupportable.
H.fr : Comment vous est venue cette idée ?
CC : Nous avions entendu parler de cette maman, Estelle (article en lien ci-dessous), qui était montée sur la grue d'un chantier en plein centre de Toulouse en mars 2014 parce qu'on voulait déscolariser son fils autiste. Alors, tout simplement, je l'ai appelée et elle m'a donné de nombreux conseils, notamment sur la façon d'alerter les médias.
H.fr : Vous semblez être à l'origine de cette idée, pourquoi n'est-ce pas vous qui êtes montée ?
CC : Au départ, je devais mais comme c'est moi qui allais négocier, je me suis dit que je serais plus utile en bas. A fortiori avec la canicule de ces derniers jours, il me fallait conserver mon énergie. Mon mari, lui, n'avait pas à parler.
H.fr : Votre réaction a été impulsive, tout s'est passé en quelques jours…
CC : Le samedi, nous avons loué une grue à une entreprise en prétextant que nous devions changer les enseignes sur la façade de notre boucherie. Le lundi matin la grue était en place…
H.fr : Vous ne faisiez rien d'illégal mais pompiers et gendarmes sont pourtant intervenus…
CC : Oui, contrairement à Estelle qui s'était introduite sur un chantier privé… Gendarmes et pompiers sont intervenus très rapidement, alertés par certains medias locaux, mais uniquement pour assurer la sécurité de mon mari. Ils se sont montrés très bienveillants…
H.fr : Avez-vous finalement obtenu gain de cause ?
CC : La MDPH a décidé d'organiser une réunion d'urgence. Romain pourra faire sa rentrée au collège de Barcelonnette, avec la présence d'une auxiliaire de vie douze heures par semaine. Mon mari est redescendu à midi.