Votre enfant « n'a pas sa place dans un système ordinaire qui ne lui permet pas de progresser », écrivait en 2021 sur Pronote, le logiciel qui permet aux parents et enseignants de communiquer, Laurent T, professeur d'histoire-géo dans un collège du Val d'Oise, à une maman d'élève en situation de handicap. « Votre fils a des difficultés pour suivre mes cours qui s'adressent à des élèves sans handicap. De fait, il n'est pas une charge pour cette classe mais cette dernière en est devenue une pour lui. », avait-il ajouté selon Le Parisien.
Seulement une maladresse ?
Si selon ce professeur, son message a été mal interprété, il avait tout de même écopé de la part de l'académie de Versailles d'un avertissement. Mais, le 9 novembre 2023, sa sanction a été annulée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; ce dernier reconnait qu'il a exprimé « maladroitement, son opinion d'enseignant au regard de l'opportunité de scolariser certains enfants en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire » mais assure qu'il n'a pas « manqué à son obligation d'impartialité et de neutralité ni à son devoir de réserve ». « Compte tenu de l'absence d'antécédents disciplinaires et de la bonne qualité de ses évaluations, ces faits, par leurs faibles gravité et fréquence, ne sont pas de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire, fut-elle légère », a tranché le tribunal.
Trois asso montent au créneau
Dans leur rôle, trois associations (Fnaseph, APF France handicap et Trisomie 21 France) jugent cette « situation insoutenable pour les familles et les élèves en situation de handicap », qui « doit être un signal d'alarme » ; elles ont tenu à réagir dans un communiqué de presse commun. Elles réaffirment que « le refus de scolarisation d'un élève en raison de son handicap constitue une discrimination en l'état du droit national et international ». « Ma place, c'est en classe », scande un collectif associatif depuis des années, même s'il consent que, « l'école est encore trop souvent dans l'incapacité de scolariser tous les jeunes ». Pour autant, ce « n'est aucunement le rôle des enseignants de juger de l'accès à la scolarisation d'un élève », font valoir les trois associations. Selon elles, Laurent T. aurait « manqué à son obligation d'impartialité et de neutralité », ce qui constitue une « une faute professionnelle, qu'il est nécessaire de reconnaître. »
Une faute professionnelle ?
Les propos de ce professeur font écho à ceux de l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui avait déclaré à plusieurs reprises devant le Sénat, le 8 novembre 2022, que « tous les enfants ne peuvent pas être en milieu ordinaire » (Lire : L'école inclusive pas pour tous: "dérapage" de Pap Ndiaye?). Qualifiées de « choquante » par un grand nombre d'associations (mais pas toutes comme le Groupe polyhandicap France qui pointe les limites de l'inclusion scolaire à tout prix), ces déclarations avaient connu une importante médiatisation, amenant le ministre à clarifier sa position lors du 2ème comité de suivi de l'École inclusive. Or, « aujourd'hui, nous retrouvons les éléments de langage de l'ancien ministre dans la défense » du professeur qui ne faisait qu'exprimer « la position officielle de l'Éducation nationale », déplorent les trois associations (Lire : Sondage des enseignants, des handicaps qui bousculent?). Dix-huit ans après la loi de 2005, elles font part de leur « inquiétude face aux nombreux manquements au droit » et de la « colère des parents face à ces violences institutionnelles répétitives », questionnant la décision du tribunal.
Risque de jurisprudence ?
Elles redoutent que l'annulation de la sanction disciplinaire de ce professeur ne fasse « jurisprudence », ce qui équivaudrait « à un retour en arrière intolérable ». Dans ce contexte, elles demandent à l'Éducation nationale de faire appel de cette décision, tout en « clarifiant sa vision de l'école inclusive ». Enfin, elles appellent le Défenseur des droits à se positionner sur cette affaire.