C'était le 1er avril 2018. On aurait pu croire à une blague dans la conjoncture actuelle. 500 000 travailleurs handicapés en recherche d'emploi avec un taux de chômage pour ce public de 20%, soit le double de la moyenne nationale, toujours en hausse. Et, pourtant, c'est dans le très sérieux Figaro que quarante-cinq personnalités, pour la plupart dirigeants de grandes entreprises françaises, ont signé une tribune collective : « Notre engagement pour l'emploi des personnes handicapées ».
Les grands noms du patronat français
On lit, parmi ces noms, ceux de Vincent Bolloré (Vivendi) ou Martin Bouygues (groupe Bouygues), Dominique Desseigne (groupe Lucien Barrière), Philippe Brassac (Crédit agricole)… Des mastodontes du patronat et le CAC 40 en force ! À l'heure où Sophie Cluzel, secrétaire d'État au handicap, a engagé une concertation sur la réforme de la politique de l'emploi des personnes handicapées, cette démarche inédite, plutôt passée sous silence, mérite d'être signalée. Tous scandent d'une même voix : « Le handicap est une question essentielle pour la société et donc pour tous les dirigeants d'entreprises. Nous faisons beaucoup, mais nous pouvons et voulons faire mieux. » Ils affirment avoir « constaté ce qu'apportent des talents différents, des personnes 'autrement capables', à l'efficacité de nos entreprises et à la fierté de nos collaborateurs ».
Constat partagé
Ce constat, particulièrement optimiste, est partagé au même moment par « La Beauté de la neurodiversité au travail », une nouvelle série et une campagne de sensibilisation dédiée à la valorisation des compétences de tous types de travailleurs neuroatypiques, notamment autistes, ou encore par François Martinez, conseiller innovation de l'Agefiph, qui promeut la « révolution des compétences » qui pousse certaines entreprises à diversifier leurs recrutement, à ouvrir d'autres horizons (articles en lien ci-dessous). C'est aussi ce que déclare Édouard Philippe lors du lancement de la stratégie autisme le 6 avril 2018 : ces personnes sont une « valeur ajoutée dont il serait absurde de se priver ».
Plus vite, plus simple, plus efficace
En attendant que ce rêve devienne réalité, le collectif de dirigeants rappelle que « seule un tiers des entreprises a atteint le seuil légal des 6% et près d'un quart n'emploie aucune personne handicapée alors que la loi a été votée il y a trente ans ! » « Pour paraphraser la devise des JO, alors que les Jeux paralympiques viennent de s'achever en Corée du Sud, poursuit cette tribune, nous appelons de nos vœux une politique de l'emploi des personnes en situation de handicap qui reprenne ces critères : plus vite, plus simple, plus efficace. »
Quelles préconisations ?
« En harmonie avec les intentions affichées par la ministre » qui a déclaré « pouvoir annoncer des pistes de simplifications assez pragmatiques à la fin du printemps 2018 » (article en lien ci-dessous), ils disent souhaiter des « mesures de simplification et d'amélioration des conditions d'accès des travailleurs handicapés au marché du travail. » Et même si « imposer des quotas est un moyen efficace et nécessaire pour favoriser (leur) embauche », ces signataires affirment que « donner le sentiment de contraindre de façon punitive, voire coercitive, les entreprises n'est pas une bonne pédagogie. » Ils encouragent à « replacer les employeurs comme des acteurs de cette politique et à accorder une place élargie à leur engagement négocié dans le cadre du dialogue social au travers d'accords de branche, de groupe ou d'entreprise sur l'emploi des personnes handicapées. » Le collectif affirme vouloir participer à la concertation et suggère la création d'une plateforme « simple et efficace qui, s'appuyant sur une base de données nationale à construire, repérerait les talents, ferait coïncider les besoins des personnes et ceux des entreprises. »
Deux priorités
Cette tribune insiste sur deux priorités majeures. En premier lieu, la nécessaire simplification de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés en l'intégrant dans la déclaration sociale. « Quelques clics devraient pouvoir remplacer des heures consacrées à de la paperasserie. (…) Renseigner plus de 70 données administratives n'est pas seulement inepte, c'est un formidable repoussoir, et cela prive de talents rares. » La seconde proposition étant de « repenser l'offre de service à destination des personnes handicapées et des employeurs » avec un accès accru à la formation pour une « montée en gamme des compétences ». Et de valoriser également les avantages du travail à distance, en particulier dans les grands groupes, pour faire coïncider l'offre d'emplois et la demande émise par les personnes handicapées. « Les problématiques auxquelles nos entreprises sont aujourd'hui confrontées sont trop complexes pour que l'on continue à se passer de certains profils, de certaines compétences et expertises, conclut cette tribune. Il est temps de s'en rendre compte. Tel est notre engagement. »
Un projet de loi sous haute surveillance
Et pourtant, à l'heure où l'élite patronale appelle de ses vœux pieux à une mobilisation sans précédent, d'autres sons de cloche se font entendre en écho du projet de loi « Avenir professionnel », second chantier social du quinquennat Macron qui regroupe notamment les réformes de l'assurance-chômage, de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Alors que Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a présenté sa copie le 6 avril 2018, l'APF (Association des paralysés de France) tient à rappeler que pour les personnes en situation de handicap et leurs proches aidants, cette liberté de choisir son avenir professionnel est « quasi-inexistante ». Dans un contexte de reprise économique et alors que le gouvernement affirme vouloir une croissance inclusive, l'association constate que les dispositions de ce projet de loi « manquent d'ambition ».
Des mesures mineures
Avec des mesures handicap qualifiées par certains de « mineures », le gouvernement, les parlementaires et les partenaires sociaux peinent, semble-t-il, à se hisser à la hauteur de l'enjeu. De son côté, le syndicat CFE-CGC, dans un communiqué daté du 12 avril 2018, se dit « très circonspect ». Il affirme que « le projet est trop timoré et ignore la réalité de terrain » parce que le pourcentage réel de la population en situation de handicap est sous-évalué, les problématiques spécifiques de la population de l'encadrement et la difficulté du maintien dans l'emploi pour ces salariés sont insuffisamment pris en compte. »
Il n'y a guère qu'un point sur lequel ce syndicat se montre enthousiaste, celui du principe d'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ainsi que sur la sécurisation de l'environnement de travail de la population féminine. Un prochain motif de mobilisation pour le collectif de patrons ? Sur 45 noms, 44 hommes et une seule femme ! Encore quelques efforts à faire en faveur de la promotion de « tous » les « talents différents »…