Des politiques avec un trouble ou un handicap ? Ils ne sont qu'une poignée à s'être « déclarés », volontairement ou rattrapés par un « coming out » forcé.
Un ministre dyslexique
Début 2024, le « cas » Stéphane Séjourné a mis cet enjeu sur le devant de la scène. « C'est pas moi qui décidera », « les droits fondamentals »... Les déclarations et propos du nouveau ministre des Affaires étrangères, truffés de fautes de français, ont attiré l'attention (la critique ?) d'une certaine intelligentsia et autres rivaux en quête de rebuffades, préjugeant qu'il ne serait ainsi pas à la hauteur de son poste. Il a alors dû se justifier en expliquant être « très fortement dyslexique » depuis l'enfance. Un handicap qu'il a réussi à gommer, « à force de travail et de rééducation », mais qui peut ressurgir « quand il y a un moment de fatigue ou de stress important ».
Une prise de parole « courageuse »
Il a alors tenu à adresser un message aux Français concernés : « Regardez, tout est possible. Ne désespérez pas ! ». Cette prise de parole a été jugée « courageuse » et c'est bien là que le bât blesse. « Le fait qu'il n'en n'ait parlé que contraint prouve bien que le handicap est encore considéré comme une tare en France », remarque Matthieu Annereau. Cet élu de Saint-Herblain (Loire-Atlantique), aveugle, a fait de l'accessibilité de la vie politique son cheval de bataille, notamment via son Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). Or, au final, le feu autour de Stéphane Séjourné s'est vite éteint…
Mélenchon : révélation tardive
D'autres personnalités ont, elles aussi, fini par « lâcher le morceau », souvent timidement. Jean-Luc Mélenchon (LFI) s'est livré sur le tard, en 2015 ; c'est sur Le Divan de Marc-Olivier Fogiel qu'il évoque son handicap auditif, qui expliquerait son caractère éruptif mais aussi son « imagination » hors normes. Chez Elisabeth Moreno, ministre en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes, c'est un « détail » qui intrigue ; son œil droit est toujours dissimulé derrière une longue mèche. Suite à un traumatisme familial, sa paupière s'est affaissée. « Je me rends compte que ça peut gêner les gens et c'est plus joli comme ça… », déclare-t-elle.
Bayrou, son « chemin intérieur »
D'autres ne s'en sont jamais cachés, à l'instar de François Bayrou, président du Modem, touché par un bégaiement depuis l'âge de sept ans, un trouble a priori rédhibitoire pour un homme public (qui n'a pourtant pas empêché Joe Biden d'accéder à la Maison Blanche). Humiliations et mépris ont jalonné son parcours, sans que jamais il ne flanche… Il définit son bégaiement comme son « chemin intérieur » pour « apprivoiser la voix et le moi ». Pour Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS, c'est la dyslexie qu'il a « dominée et maîtrisée grâce à une stratégie de contournement ». Une force, une résilience qui, souvent, est tue…
Des handicaps visibles et assumés
Voilà pour les handicaps dits « invisibles ». N'ayant aucune option pour dissimuler, d'autres s'affichent ouvertement. C'est le cas de Damien Abad. Trente ans après avoir livré son premier combat pour intégrer l'école ordinaire, le patron des députés LR, atteint d'arthrogrypose, maladie rare entraînant déformations et raideurs articulaires, est parvenu, certes fugacement, à la fonction de ministre délégué aux Personnes handicapées. En 2022, c'est Sébastien Peytavie, élu de Dordogne, qui fait une entrée remarquée à l'Assemblée. Il est en effet le premier député en fauteuil roulant de l'histoire, dans un hémicycle d'ailleurs assez peu accessible (Lire : Sébastien Peytavie, 1er député en fauteuil, fait sa rentrée) ! Dans cette même promo, José Beaurain, député aveugle de l'Aisne, explique avoir la « sensation de donner un sens à sa vie » grâce à la politique, face à une « société qui se délite » (Lire : José Beaurain, nouveau député RN, non-voyant).
Une classe politique à l'image de la société
Sur 348 sénateurs, un seul est en situation de handicap visible. Sur 577 députés, ils ne sont que trois. Cela témoigne d'un manque drastique d'accompagnement et des préjugés persistants. Alors qu'un fossé de plus en plus grand semble se creuser entre la politique et les citoyens, l'enjeu est d'avoir, enfin, une classe politique représentative de la société. En août 2020, sous la présidence de Barack Obama, un jeune Américain bègue déclarait sur NBC News : « Sans Joe Biden, je ne serais pas là pour vous parler. C'est vraiment génial de voir que quelqu'un comme moi est devenu vice-président » (Lire : Bègue comme Joe Biden, un garçon de 13 ans émeut l'Amérique). Mais si certains analystes jugent que l'époque réclame de la transparence, une opportunité pour les politiques de renouer avec leurs concitoyens, la réalité semble figée dans ses archaïsmes.
« Le handicap à la traîne »
« Il est venu le temps d'assumer », exhorte Matthieu Annereau, évoquant d'autres « minorités » qui commencent à franchir le pas. Pour la première fois, un Premier ministre, Gabriel Attal, parle ouvertement de son homosexualité lors de son discours de politique générale, jusqu'à en faire un « non-événement ». Certaines femmes, elles aussi, ont eu un rôle model pour rendre leur participation à la vie politique visible et sans tabou. Mais, selon lui, « le handicap est encore à la traîne ». Qui veut prendre le risque de voir le modèle de l'homme politique sans faille ni fragilité se fissurer ?
Edouard Philippe, menace sur sa carrière ?
Pour illustrer son propos, il évoque de récents commentaires entendus en « off » sur Edouard Philippe, atteint de vitiligo (une maladie de la peau) et d'alopécie (perte des cheveux), qui ont radicalement modifié son apparence. « Certains voient ces symptômes comme une dégénérescence qui fait douter de ses capacités intellectuelles, alors même qu'elles ne sont pas en cause. » Un amalgame « qui risque de le desservir » à l'avenir et fait écho à la placardisation des personnes handicapées dans l'emploi. Constat partagé par Claude Boulanger, conseiller du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional) Ile-de-France, lui-même en situation de handicap. « Soyons francs, dans l'état actuel des mentalités, incarner le handicap ou les questions de santé, c'est prendre le risque d'être stigmatisé ou mis dans une case, estime-t-il. On peut alors comprendre les réticences à révéler ce type de situations par crainte de l'impact sur le déroulement de la carrière. »
Ces personnalités de premier plan, pionniers à leur façon, figures emblématiques, ont pourtant un rôle important à jouer pour dépoussiérer, sensibiliser et banaliser. « C'est leur responsabilité dans ce domaine », selon Matthieu Annereau. Il en appelle à leur « courage ». Qui vote pour ?