En parcourant les mers du monde entier, Philippe Croizon a souvent nagé dans le plastique et les déchets. Des pailles ont aussi croisé sa route… Quadri-amputé, l'aventurier est un utilisateur de ces petits bouts de plastique qui sont aujourd'hui au cœur des débats. En l'absence de mains, elles lui permettent de boire en totale autonomie. Et, pourtant, face à la menace d'éradication de ce polluant, il applaudit… des deux mains !? En cet été 2018, les pailles sont en effet plus que jamais dans la tourmente. Elles ne peuvent généralement pas être recyclées car, trop petites, elles passent à travers les lignes de tri et finissent dans les décharges, d'où elles peuvent, potentiellement, s'envoler jusque dans les cours d'eau puis les océans. Rien qu'en France, 3,2 milliards sont jetées chaque année uniquement dans l'industrie du fast-food !
Des interdictions en série
Il a suffi d'une photo, celle d'une tortue avec une paille enfoncée dans la narine, vue 30 millions de fois, pour qu'une prise de conscience collective agite un été pourtant caniculaire où les boissons fraîches ont été largement plébiscitées. La ville de Paris annonce, par exemple, à l'instar de Seattle (USA), pionnière sur cette question, qu'elle bannira, dès le mois de septembre 2018, progressivement les pailles en plastique sur son territoire, tout d'abord dans les installations municipales puis, en 2019, sur Paris Plages. L'objectif étant, à terme, de sensibiliser les restaurants et les bars à ne plus en proposer automatiquement, et les consommateurs à les refuser. De telles interdictions sont décidées en série, notamment par les restaurants McDonald's en Angleterre, et bientôt en France, ou d'autres chaînes de restauration.
Une asso monte au créneau
Face à l'ampleur du phénomène, Radio canada publie un article le 18 août 2018 qui s'émeut de l'impact qu'il pourrait avoir sur le quotidien des personnes handicapées. L'association locale RAPLIQ (Regroupement des activistes pour l'inclusion au Québec) insiste sur le fait que la protection de l'environnement doit se faire en collaboration avec les personnes vivant avec un handicap et non à leurs dépens. Et d'assurer que les pailles ont un gros impact sur leur autonomie, permettant à certaines de s'hydrater mais aussi de se nourrir. Elles seraient donc un « besoin vital, hors de chez elles comme à la maison ». Selon l'association, un environnement sans pailles peut placer les personnes handicapées dans des situations humiliantes.
Des options de rechange pas convaincantes ?
Il existe pourtant des options de rechange mais qui obligent à avoir sa paille personnelle en permanence sur soi. « Est-ce qu'on demanderait à quelqu'un d'apporter son propre verre dans un restaurant ?, s'interroge l'association. C'est la même chose pour une paille. » D'autant que, selon elle, les modèles existants ont chacun leurs inconvénients ; les pailles en papier ramollissent à la chaleur, celles en métal ou en verre peuvent blesser la bouche des personnes victimes de spasme ou deviennent brulantes au contact de la chaleur. Par ailleurs, elles ne sont pas pliables ce qui rend compliqué de les saisir avec la bouche. Selon Radio Canada, « avant de se démocratiser auprès du grand public, la paille pliable était utilisée par des personnes ayant des difficultés à boire avec un verre ou une paille droite ». RAPLIQ encourage ainsi les restaurateurs québécois à mettre à disposition des pailles « à la demande » sans manifester de doutes ni de préjugés face au client puisque de nombreux handicaps demeurent invisibles.
Un coup de paille dans l'eau ?
« Parce qu'il existe des alternatives, je trouve assez étonnant que des associations militent contre cet élan, s'étonne Philippe Croizon. Il existe des pailles décoratives, en carton, en amidon de maïs 100 % biodégradable et compostable, ainsi que toute une gamme adaptée au handicap comme les pailles anti-reflux. Les fabricants ne vont donc pas mettre la clé sous la porte et imaginer d'autres solutions, d'autres matériaux moins nocifs, comme ils l'ont fait pour les sacs en plastique. La prise de position de cette association, c'est vraiment un coup de paille dans l'eau ! »