Juliette, 16 ans, ne fera pas sa rentrée cette année, pas plus que l'année dernière, il y a deux ans… A cause d'une maladie rare, invalidante, qui touche ses muscles, ses yeux, son cerveau, elle ne peut pas apprendre comme tout le monde. Cette enfant « particulière » n'a donc jamais été en école ordinaire mais la structure médico-sociale qui l'accueillait, à Sèvres (Hauts-de-Seine), proposait la présence d'un professeur des écoles de l'Education nationale. Ce dispositif, appelé Unité d'enseignement ou UE, peut être localisé au sein d'une école ou dans un établissement spécialisé qui centralise ainsi tous les soins et rééducations nécessaires (ergothérapie, kinésithérapie, orthophonie, psychomotricité…). A 12 ans, Juliette est passée « chez les plus grands », dans un autre établissement situé sur une commune voisine, à Viroflay (Yvelines), qui accueille les mêmes enfants de 13 ans à 20 ans ; faute d'UE et d'enseignants détachés sur ce site, l'accès aux apprentissages scolaires a pris fin il y a quatre ans. « Je ne revendique pas une place en école ordinaire, insiste Odile Antoine, sa maman, car je ne pense pas que cette solution convienne à des enfants lourdement handicapés comme ma fille, en tout cas pas dans son organisation actuelle, mais ils doivent avoir tout de même accès à la scolarité et à ses apprentissages ».
1 enfant sur 4
Comme Juliette, ils sont en effet des milliers, en France, à porter des handicaps complexes et multiples, pouvant associer des troubles sévères sur les plans moteur, sensoriel et intellectuel, dits « polyhandicapés ». Or une enquête préliminaire du groupe de travail national Scolarisation et polyhandicap publiée dans le Rapport annuel 2018 de la CNSA révèle que seulement un sur quatre d'entre eux est scolarisé, pour la plupart en unité d'enseignement interne aux établissements (60 % de ceux qui ont répondu en ont une). Leur scolarisation est plutôt individuelle ou en collectif restreint (majoritairement en groupes de 2 à 5 enfants) et sur des temps courts (majoritairement moins de 6 heures par semaine). « Ils sont pourtant capables d'apprendre, en ont besoin et souvent envie », affirme l'association Cap'devant ! (anciennement ARIMC-IDF) qui soutient l'action des familles et a déjà interpellé le Gouvernement.
Rien après 12 ans ?
Et de rappeler que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. Or Odile Antoine déplore à son tour que la présence d'enseignants détachés de l'Education nationale ne soit pas systématique dans les établissements spécialisés. « La mise en place d'une UE reste au bon vouloir de chaque académie », renchérit Cap'devant !, qui juge cette situation « inacceptable ». Et de rappeler un droit fondamental, celui à l'éducation, selon l'article L112-1 du Code de l'Education : « Le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. » Dans son établissement, Juliette est accompagnée par des professionnels « qui font un travail formidable et complémentaire, axé sur l'autonomie » mais qui, selon sa maman, « ne se suppléent pas aux enseignants qui ont un savoir-faire en termes de méthode d'apprentissage très structurant ».
Les familles mobilisées
Face à ce constat, depuis 2015, les familles concernées se mobilisent aux côtés de la direction de l'établissement pour réclamer une ligne budgétaire dédiée à la mise en place d'une unité d'enseignement au-delà de 12 ans. « Les échanges avec l'Éducation nationale et l'Inspection académique se sont trop souvent conclus par des non-réponses ou de vagues promesses 'On verra l'année prochaine' », regrettent-elles. Elles demandent également la formation spécifique des enseignants détachés car la plupart ne connaissent pas ou mal les spécificités du polyhandicap. Il ne suffit donc pas d'ouvrir des UE, encore faut-il s'en donner les moyens, l'objectif étant de déployer cette offre scolaire sur l'ensemble du territoire afin d'en assurer l'accès à tous.
Une réunion avec la ministre
Pour Monique Rongières, présidente de Groupe polyhandicap France, la priorité est de définir plus précisément ce qu'est le « polyhandicap » -la confusion existe avec la paralysie cérébrale (IMC)- afin de proposer des apprentissages mieux adaptés. Allant à contre-courant du « tout inclusif », l'association nationale revendique, pour les enfants les plus lourdement handicapés, une scolarité « intra-muros », au sein des établissements médico-sociaux et non pas des écoles. « Que ferait un enfant polyhandicapé dans le coin d'une classe ?, questionne-t-elle. Comment assurer ses transferts au sein de l'école, c'est éprouvant et compliqué. »
Le Gouvernement a placé cette rentrée 2019, plus que jamais, sous le signe de l'école inclusive et de la confiance. Les parents d'enfants polyhandicapés réclament que cet engagement ne reste pas vain et revendiquent une « école tout simplement », espérant une réponse sans délai. Un comité de pilotage, qui fait suite au volet national polyhandicap (article en lien ci-dessous), devrait se réunir, en présence de Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, courant septembre 2019. Affaire à suivre… Et pour Juliette ?
Photo d'illustration générale : Stocklib/Olesia Bilkei