Handicap.fr : Quelles étaient les doléances majeures des parents en 2018 ?
Sophie Cluzel : Outre l'isolement social, la complexité administrative et la charge mentale causée par la nécessité de prouver perpétuellement que leur enfant est handicapé, et de trouver des réponses rapides à leurs questions. Aussi, le fait que l'école est souvent fermée à l'expertise médico-sociale, avec des témoignages tels que : "Je n'arrive pas à faire entrer mon orthophoniste dans l'école", "Le Sessad (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile) n'arrive pas à travailler avec l'école".
H.fr : Dans ce contexte, quelles nouvelles mesures vont être mises en place à la rentrée 2019 (liste complète des mesures en lien-ci-dessous) ?
SC : Tout d'abord les cellules d'écoute et d'appui mises en place dans chaque département en anticipation de la rentrée. On rompt l'isolement des familles avec une réponse rapide de proximité (article en lien ci-dessous). Autre élément capital, massivement réclamé par les parents : la simplification des démarches. Les notifications de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) se feront désormais par cycle scolaire, pour toute la maternelle par exemple. Les délais de compensations seront ainsi allongés. Concrètement, les familles n'auront plus besoin de se rendre à la MDPH chaque année pour avoir une notification en Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire) ou encore faire une demande d'AESH (Accompagnant d'élève en situation de handicap).
H.fr : Du nouveau du côté des élèves handicapés ?
SC : 23 500 nouveaux élèves en situation de handicap prendront le chemin de l'école en cette rentrée. La scolarisation progresse encore. Mais nous ne nous limitons pas, avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, à cette approche quantitative. Notre objectif est d'agir en profondeur pour une scolarisation de qualité pour tous les enfants et des parcours sans rupture. Pour cela, nous favorisons une réponse de proximité, au plus près du domicile, et organisons la coopération entre les professionnels de l'Education nationale et du médico-social autour des enfants. Par exemple, les parents de ceux présentant des troubles autistiques et accueillis en unités d'enseignement maternelles ou élémentaires, dont le nombre augmente en cette rentrée, pourront désormais obtenir des réponses complètes, c'est-à-dire une scolarisation à temps plein, avec la fratrie, si possible. Ces unités, qui font le lien avec le secteur médico-social, sont la solution pour tous ceux qui ont des besoins assez complexes (porteurs d'autisme, polyhandicapés) donc il faut continuer à les développer.
H.fr : Le secteur médico-social joue-t-il le jeu ?
SC : Oui globalement. Il y a un formidable travail fait sur les territoires entre les structures médico-sociales, l'Education nationale et les administrations. On met en place, en 2019, 60 équipes mobiles d'appui médico-social qui viennent en renfort dans les écoles, collèges et lycées. Un bilan sera dressé en janvier en vue d'une généralisation à la rentrée de septembre 2020.
H.fr : Vous avez reçu les grandes associations nationales le 29 août matin avec Jean-Michel Blanquer. Quel était l'objet de cette réunion ?
SC : Coopérer pour accompagner au mieux les familles en cette rentrée. Nous sommes, avec les associations, dans une logique de coresponsabilité, et tous autour de la table en étaient d'accord. Les associations ont mis en place des dispositifs, le Gouvernement d'autres, comme les cellules d'écoute, afin d'apporter des réponses concrètes aux parents. Nous devons mutualiser nos efforts. Nous sommes sortis de cette réunion avec trois leviers d'action à effet immédiat :
- Relai par tous des numéros des cellules d'écoute pour les situations individuelles
- Vigilance collective et remontées d'alerte sur les situations territoriales problématiques
- Mise en partage des bonnes pratiques.
Le comité national de suivi de l'école inclusive sera réuni à l'automne pour un premier bilan, mesurer les progrès obtenus et les efforts à poursuivre. Il nous faudra en particulier travailler à une coopération toujours plus intégrée sur les territoires.
H.fr : D'autres nouveautés en perspective ?
SC : Nous ouvrons davantage les portes de l'école aux professionnels libéraux, pour que la scolarisation de l'enfant soit la plus sereine possible et que les parents n'aient plus à poser des RTT pour accompagner leur enfant en pleine journée à des rendez-vous en ville. A ce titre, les séances d'orthophonie faites à l'école sont, dès cette rentrée, remboursées par l'assurance maladie. Plus globalement, il faut absolument qu'on sécurise les enseignants, les chefs d'établissement, les familles et les professionnels sur qui fait quoi, quand et comment. Tel est le but de ce Grand service public de l'école inclusive : s'imprégner de toutes les expertises pour insuffler cette dynamique de l'adaptation. C'est aussi remettre chacun dans sa compétence, dans son action, et qu'elle soit orchestrée, visible par tous, sans qu'on remette chaque année en question le projet personnalisé de scolarisation de l'élève. Sa simplification est notre prochain objectif, pour éviter d'en faire une usine à gaz mais plutôt un vrai outil partagé au service du parcours de l'enfant.
H.fr : Et les enseignants, ont-ils besoin d'être accompagnés ?
SC : Oui, bien sûr. Là aussi nous innovons, avec, notamment, la mise en place en cette rentrée de la plateforme numérique Cap vers l'école inclusive, qui sera disponible pour les enseignants ainsi que pour les accompagnants des enfants en situation de handicap. Elle offre des supports pratiques pour comprendre le handicap, mettre en place des adaptations pédagogiques, mais aussi identifier les enseignants ressources spécialisés -dont le nombre augmente cette année- mobilisables sur le territoire pour accompagner la mise en place des projets pédagogiques adaptés. Par ailleurs, les besoins spécifiques d'adaptation des enseignants seront pris en compte dans le cahier des charges de la formation initiale. Concernant la formation continue, 140 modules d'initiative nationale, dédiés au handicap, seront disponibles pour aborder la rentrée 2019 plus sereinement. Les modules existent déjà, on s'appuie sur le CAPPEI (Certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive) mais il faut maintenant les incorporer dans une formation initiale déjà très dense.
H.fr : Les nouveaux programmes de formation des enseignants seront-ils opérationnels dès septembre 2019 ?
SC : Chaque université a une autonomie dans son cahier des charges donc nous sommes en train de travailler, avec le ministère de l'Education nationale, sur une base nationale mais nous ne savons pas exactement quand elle sera opérationnelle. Mais on ne lâchera pas car c'est essentiel pour que la nouvelle génération soit formée à la pédagogie spécialisée. L'enjeu, ce n'est pas de la former sur toutes les complexités du handicap mais plutôt de donner des repères et les moyens de trouver des ressources autant que de besoin.
H.fr : Avez-vous une idée du nombre d'enfants sans solution éducative en 2018 ? Les grosses associations font des estimations mais qu'en est-il des statistiques officielles ?
SC : Tout comme nous, les associations n'ont pas la possibilité de le savoir précisément... Qu'est-ce qu'un enfant sans solution éducative ? Est-ce qu'un enfant avec une solution très partielle est considéré comme tel ? Malheureusement, nous ne sommes pas encore outillés pour mesurer les trajectoires des enfants, et cela ne date pas d'aujourd'hui. C'est bien pour cela que j'ai fait le choix, à mon arrivée, de mettre 25 millions d'euros sur la table pour accompagner chaque MDPH dans la mise en œuvre d'un système d'information commun. Tant qu'on n'aura pas des remontées automatiques des 101 MDPH sur le suivi des enfants, personne ne sera capable de dire combien d'enfants restent sans solution. Pour autant, nous savons que nombre d'entre eux n'ont pas encore trouvé la bonne solution, et c'est ça l'enjeu.