Par Myriam Chaplain Riou
Oser dire « non », partager un sentiment quand on manque de mots, mieux connaître son corps, apprendre la pudeur, comprendre son désir : l'épanouissement affectif et sexuel des personnes handicapées est au cœur du projet Handy Love qui forme des professionnels à l'animation interactive. « Au départ, cela semble quasi impossible aux équipes des structures médico-sociales de faire participer leurs publics handicapés mentaux ou psychiques aux séances d'animation », explique à l'AFP Marie-Claire Ruiz, directrice de la compagnie théâtrale des CT3i, à l'origine de Handy Love. « Pourtant, jeunes et adultes prennent la parole de façon incroyable pendant les séances », affirme-t-elle.
Une question délicate pour les personnels
Longtemps occultée, la question de la sexualité et de la vie affective des personnes handicapées reste délicate à aborder pour les personnels. C'est pourquoi, Marie-Claire Ruiz, dont la troupe intervient auprès de ces publics -mais aussi en entreprises ou en maisons d'arrêt-, a eu l'idée de former les équipes médico-sociales à ce dialogue, en s'appuyant sur des outils pédagogiques, avec une prise en charge des intervenants par la formation professionnelle. Ainsi est né en 2011 le projet Handy Love, basé sur les principes du théâtre-forum interactif. « Nous souhaitons apporter aux personnes en situation de handicap une meilleure connaissance en matière de sexualité et les éléments de réflexion nécessaires à l'amélioration de leurs attitudes et comportements au regard de leur vie intime, affective et sexuelle », résume-t-elle.
Une formation pour les pros
Les professionnels suivent une formation qualifiante en deux sessions pendant lesquelles ils apprennent à maîtriser les outils pédagogiques, au premier rang desquels un DVD interactif composé de huit courts-métrages. S'y ajoutent un guide, une BD exprimant des émotions positives et négatives pour les personnes dénuées de langage verbal, deux posters (homme et femme grandeur nature) avec supports amovibles pour parler de l'évolution du corps, trois poupées éducatives sexuées, dont une femme enceinte. L'objectif ? Que les professionnels, devenus des « anim'acteurs » s'approprient ces outils et conduisent, à deux, des séances d'animation interactive. Les éducateurs ne donnent pas de leçons, ne jugent pas, mais invitent les « spect'acteurs » à trouver eux-mêmes des réponses. Ce sont eux aussi qui choisissent le thème à aborder. Ils regardent le court-métrage dans son intégralité puis, lors d'un deuxième visionnage, interviennent, arrêtent le film, discutent et réinterprètent ensuite, à leur manière, les personnages.
Parler du racket ou de l'inceste
« Un même petit bout de court-métrage peut les faire interagir durant deux ou trois séances », relève Mme Ruiz. Celui intitulé « Laisse-moi tranquille ! », sur le consentement et le non consentement, permet parfois de révéler des choses, comme le racket ou l'inceste, même si ce n'est pas évoqué dans le scénario. Ainsi, une jeune fille a réagi : " Moi, mon tonton, il me touche là... Je n'aime pas ", en montrant les seins de la poupée sexuée ». « Ma Laurinette », sur l'emprise familiale, « plaît beaucoup... C'est l'histoire d'une jeune handicapée qui a un amoureux. Sa mère surprotectrice ne le supporte pas et fait du chantage affectif ». « On ne s'arrête pas au scénario. Les films peuvent amener beaucoup plus loin ». « Un bébé dans le ventre », sur le désir d'enfant, a déclenché toute une discussion sur le handicap, raconte-t-elle : « Moi je n'aurai pas de bébé, je ne veux pas qu'il soit handicapé », commente une jeune fille. « N'importe quoi ! Regarde tes parents, ils ne sont pas handicapés », rétorque un garçon. On trouve aussi parmi les courts-métrages « Toilettes pudiques » (notions de pudeur et d'intimité), ou « Marina sois cool !», sur la première relation sexuelle, le désir, les peurs, le respect, l'éducation à la sexualité.
Pas de recette miracle
C'est le même groupe qui participe aux animations pendant plusieurs mois. « Tout se fait à leur rythme. Pas de recette miracle pour les animateurs. Certains se heurtent aussi aux réticences de leur établissement. D'autres sont très ouverts ». Les jeunes ou moins jeunes handicapés « n'adhèrent pas non plus d'emblée au projet. Mais leur implication se renforce au fil des séances, assure Mme Ruiz, et le bouche-à-oreille suscite curiosité puis envie de participer ».
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