Sur fond de photographies et de plans fixes, la voix mélancolique de Perrine Michel semble comme en suspension au-dessus d'un gouffre tentant d'aspirer le spectateur. Impossible de rester insensible face à Lame de fond (2013), un objet difficile à définir. Réalisé de manière autobiographique et à la première personne, ce film pourrait être classé dans la catégorie des thrillers tant la violence et la tension sont présentes. Peu après la vente de la maison familiale, Perrine raconte la manière dont elle s'est faite violée par son père, décédé quelques temps plus tôt, puis par son grand-père maternel. Le malaise s'intensifie au fil des minutes. La jeune femme prétend être entourée de caméras et de micros partout dans son environnement – jusque dans ses lunettes. Elle et sa famille sont victimes d'une machination. On l'enferme dans un hôpital psychiatre, « ce lieu de meurtre, de torture », chuchote-elle, se sachant observée. Au fur et à mesure de cette descente effrénée vers la folie, le spectateur est tenté de se demander comment discerner le vrai du faux. Qu'importe ; Perrine, qui a d'ailleurs réalisé le film, nous raconte « sa » vérité. Aussi troublante soit-elle.
1 personne sur 5 traverse un épisode de trouble psychique
Mais cette « fiction » reflète la réalité de nombreuses personnes. En effet, on estime que 20% de la population traverse dans sa vie, parfois de manière durable, un épisode de trouble psychique. Lame de fond a été projeté en préambule d'une soirée-débat organisée le 14 septembre 2015 dans le cadre du Diplôme universitaire « Le handicap dans l'accès au droit » lancé en janvier 2015 à la faculté de droit de l'Université catholique de Lyon (lien ci-dessous). Un diplôme qui, par ailleurs, s'ouvre désormais aux travailleurs sociaux – en plus des professionnels du droit. Quelques mois après une première soirée consacrée aux « Sourds qui ne veulent pas entendre » (lien ci-dessous), le débat s'ouvrait cette fois-ci aux personnes connaissant des épisodes psychotiques. Face à leur discours parfois délirant, soulevant des questions de droit (accusations, revendications…), comment le professionnel peut-il accueillir leur parole ? Comment faire valoir leurs droits ?
Des procédures sans preuves
L'avocat Mathieu Simonet a déjà été confronté à une telle situation. Un jour, il reçoit une dame qui souhaite porter plainte ; elle dit être la cible d'un complot. « Je n'ai jamais été formé à gérer un cas comme le sien. A ce moment-là, j'avais deux idées en tête. La première, c'est que je savais que la procédure n'allait pas pouvoir aller au bout. Techniquement, le procureur peut choisir de ne pas prendre certaines plaintes en fonction du manque de preuves. Et deuxièmement, je n'ai pas cherché à la contredire ou à remettre en cause sa parole. » Bernard Joli, psychiatre, va dans le sens de cette démarche. « Sans jamais véritablement entrer dans le délire, l'avocat doit subtilement faire comprendre à cette personne qu'elle devrait consulter un médecin. Par exemple, en lui disant que cette anxiété semble l'épuiser et qu'elle devrait en parler à un professionnel avant d'engager une procédure.»
Droit et médecine : travailler de concert
Afin que la transition se fasse de manière optimale, la communication entre l'avocat/juge et le psychiatre/établissement est primordiale. Tel est d'ailleurs un des objectifs de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques. « Je crois qu'à Lyon nous sommes plutôt au point concernant cette loi », estime Dr Joli. Par exemple, au Vinatier, hôpital psychiatrique lyonnais, une salle est spécialement dédiée aux échanges avocat-patient. Une démarche qui favorise ainsi la rencontre avec le médecin… quand ce dernier se montre enclin à la discussion. « Il m'est déjà arrivé de défendre une dame qui avait été hospitalisée contre son gré, raconte Me Simonet. J'ai souhaité en parler avec son psychiatre mais il a refusé. Il a invoqué le secret professionnel, alors que la dame lui avait donné son accord. Quand on ne peut pas avancer ensemble, c'est compliqué…»
Un accompagnement psychiatrique qui « a changé »
D'autant qu'il arrive que l'implication de l'avocat ne se limite pas à la défense de son client. « Justement, concernant cette personne, j'étais dans une position privilégiée, poursuit Me Simonet. Elle se sentait persécutée et ne faisait plus confiance à personne : famille, proches, corps médical. Sauf à moi ! Dans cette situation, je me posais la question : comment en profiter pour l'aider et favoriser son bien-être ? » Là encore, mettre à profit cette confiance pour se rapprocher d'un psychiatre apparait comme la meilleure réponse. « Surtout que les temps ont changé, confesse Dr Joli. Avant, il arrivait qu'en cas de viol dans l'hôpital on garde ça entre nous, tandis que, désormais, nous les accompagnons. Il n'y a aucune raison pour que ces personnes n'aient pas accès au droit, comme tout le monde. » C'est d'ailleurs dans le cadre d'un accompagnement réussi que Perrine Michel a pu réaliser son film, mis en œuvre durant cinq ans alors qu'elle était… à l'hôpital psychiatrique.