Dans un contexte de tensions sociales, le projet de réforme des retraites qui se veut « universelle » est loin de faire l'unanimité. Il a été présenté en Conseil des ministres le 24 janvier 2020, avant son examen dès le 17 février par l'Assemblée nationale et en mars par le Sénat. Elle a suscité, dans la foulée, une levée de boucliers de la part des associations du champ du handicap, alertées par des dispositions en pointillés, des mesures à trous, un texte avec son lot d'imprécisions… Une flopée de communiqués a donc déferlé avec des conclusions peu amènes pour tenter de faire entendre raison au gouvernement.
Réactions unanimes
Edouard Philippe promet pourtant, dans les négociations à venir, d'évoquer les « départs progressifs », les « transitions », les « petites pensions garanties » mais aussi la « pénibilité ». « Un sujet brûlant d'actualité, d'une importance capitale », a tenté de rassurer Muriel Pénicaud, ministre du Travail, lors de ses vœux. Mais pas de quoi calmer l'inquiétude… Le CDTHED (Comité pour le droit au travail des handicapés et l'égalité des droits) redoute « le pire », déplorant que « les personnes handicapées ne soient jamais citées ». Pour la Fnath (Fédération des accidentés de la vie), qui ne se dit « pas dupe », « le compte n'y est pas ». Réunies dans un collectif, l'Unapei, APF France handicap, Aides et Uniopss, dénoncent une « réforme opaque ». De son côté, le Collectif interassociatif des aidants familiaux (CIAAF) se dit « inquiet » pour les 11 millions d'aidants en France.
Quant au tout nouveau Collectif Handicaps, qui a vu le jour en janvier 2020 pour porter les revendications de 47 associations d'une seule voix, il a inscrit cette réforme dans son agenda 2020, qu'il promet « chargé » (article en lien ci-dessous). Il a transmis des propositions d'amendements afin de faciliter la retraite progressive pour les travailleurs handicapés, d'adapter le coefficient d'ajustement pour les personnes handicapées et les aidants ou encore de majorer les points, en particulier pour les aidants ou les jeunes handicapés. Les associations alertent sur le risque de voir disparaître un certain nombre de dispositifs existants et d'entraîner, de fait, une précarisation de ces publics vulnérables. Alors que l'objectif de cette réforme n'était-il pas de gagner en justice et en universalité ?
La pénibilité au cœur des débats
Pour la Fnath, c'est la « pénibilité » qui est au cœur des débats, sujet central de la réforme afin de répondre à l'inégalité de l'espérance de vie du fait des conditions de travail. Or, selon sa présidente, Nadine Herrero, c'est un mot que le gouvernement tente de faire « disparaître ». En sa qualité de membre du Conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie, elle a donc voté contre ce projet de loi, regrettant « la reconduction de dispositifs inefficaces, injustes et insuffisants à répondre aux enjeux de l'espérance de vie et du pouvoir d'achat des personnes usées par le travail, accidentés, malades ». Selon elle, « aucun progrès notable ». Même si le nouveau dispositif doit garantir aux assurés une retraite nette égale à 85 % du SMIC net, il peut difficilement s'appliquer à ceux qui, du fait de leur état de santé, n'auront pas une carrière complète. « Avec ce système, certains continuent à mourir avant les autres en profitant de quelques mois de retraite seulement », conclut la Fnath. L'association réclame donc, entre autres, la création d'une allocation de cessation anticipée d'activités pour les travailleurs exposés à des conditions pénibles et la mise en place d'un dispositif universel de retraite anticipée au titre des pénibilités.
Quelle retraite anticipée ?
S'agissant de la retraite anticipée en cas de handicap, quoi de neuf ? « La durée d'assurance validée est bien supprimée mais cela ne change pas grand-chose car le maintien d'une durée d'assurance cotisée en tant que travailleur en situation de handicap limite considérablement l'accès effectif au dispositif tout comme la difficulté à faire reconnaître le taux d'incapacité fixé à 50% », explique APF France handicap. « Aucune réponse n'étant ainsi donnée aux travailleurs qui deviennent handicapés en milieu de carrière professionnelle », complète la Fnath. Il faut justifier d'une certaine durée d'assurance (variable selon l'année de naissance et la date d'effet du départ -à titre indicatif : 129 trimestres validés, autrement dit 32 ans, pour les natifs de 1964 avec un départ à 55 ans) et d'un certain degré de handicap durant l'intégralité de cette durée. Impossible pour de nombreux travailleurs handicapés d'en bénéficier car ils n'ont pas validé suffisamment de trimestres (handicap tardif, entrée tardive en emploi à cause d'un handicap, absence de justificatifs, problèmes sur les critères d'appréciation du taux d'incapacité…). En 2018, moins de 3 000 personnes sont concernées, tant les « conditions sont restrictives », de l'aveu même de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Dans ce contexte, le CDTHED réclame une retraite avec anticipation proportionnelle au nombre d'années d'activité exercée en étant handicapé, avec majoration de la pension pour les périodes considérées. Les critères pour l'obtention d'une retraite pour inaptitude restent également inchangés, excluant toujours les personnes en Affection de longue durée (ALD) dont celles séropositives.
Système à points : la loi de 2005 bafouée
Le système à points tant contesté, individuel et ne reposant plus sur la solidarité entre les générations, pourra-t-il garantir le droit à la majoration de pension qui compense le raccourcissement de la carrière professionnelle consécutive au handicap et les temps partiels fréquents ? Non, répond le CDTHED. Cette majoration était pourtant une « avancée majeure » de la loi handicap de 2005, selon lui. Si le projet de loi prévoit une pension de retraite contributive minimale, celle-ci est réservée aux carrières complètes. « Des points supplémentaires seront attribués, nous dit le gouvernement, mais selon quelles modalités et avec quelles garanties ? », interrogent les quatre associations précitées réunies au sein du collectif. Enfin, pour les pensionnés d'invalidité, le calcul des points se fondera sur les salaires touchés avant l'octroi de la pension d'invalidité, souvent en début de carrière, où le salaire est souvent le plus bas.
Et les aidants ?
En ce qui concerne les aidants, le CIAAF demande aux pouvoirs publics que leurs droits actuels soient maintenus. La majoration de trimestres qui existe aujourd'hui (un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres, article en lien ci-dessous) sera remplacée par une majoration de points, plafonnée par année. Quelle majoration ? Elle doit être précisée par décret. Huit à onze millions d'aidants doivent mettre régulièrement leur carrière entre parenthèse, parfois de manière définitive, ce qui se répercute inévitablement sur le montant de leur retraite. « Et cette réforme aura des conséquences directes sur ce montant », déplore le CIAAF. Ce dernier constate également que des droits aujourd'hui existants, comme celui à la retraite anticipée pour les parents d'enfant handicapé fonctionnaires, ne trouvent pas de transposition dans le nouveau système universel de retraite. Il réclame donc, dans certaines conditions, une majoration de leur durée d'assurance, ainsi que pour les proches assumant la charge d'un adulte, et la possibilité d'un départ à la retraite à taux plein à l'âge légal pour ceux qui ont interrompu leur activité professionnelle.
Un bon point tout de même : les droits à la retraite seront automatiquement ouverts pour les aidants qui bénéficient des allocations suivantes : compléments d'Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), Allocation journalière de présence parentale, Allocation journalière du proche aidant, Allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie. Par ailleurs, deux nouvelles catégories vont pouvoir bénéficier du droit à la retraite : les parents d'enfant en situation de handicap dont le taux d'incapacité est compris entre 50 et 79 % (dans les conditions permettant d'ouvrir droit aux compléments d'AEEH) et les bénéficiaires de l'allocation d'accompagnement d'une personne en fin de vie.
Après 50 jours de mobilisation, les partenaires sociaux sont conviés à Matignon le 10 février 2020, une première réunion pour mettre en place les prochaines semaines de travail. Ce sera la veille de la Conférence nationale du handicap, accueillie par Emmanuel Macron à l'Elysée (article en lien ci-dessous).