*Fédération française sport adapté
H.fr : A quelques jours des Jeux paralympiques de Rio (7 au 18 septembre), la délégation du sport adapté est au complet. Qui s'envole vers Rio ?
MT : Quatorze personnes au total, dont cinq athlètes. J'y serai en tant que président de la FFSA (Fédération française sport adapté) mais également en tant que coach.
H.fr : Pourquoi si peu ?
MT : Parce qu'il y a très peu d'épreuves ouvertes à nos sportifs. Il faut se rappeler que le sport adapté n'a fait son retour qu'aux Jeux paralympiques de Londres, après en avoir été exclus pour « tricherie » il y a quelques années. Il n'y a que trois disciplines : natation, tennis de table en individuel et athlétisme.
H.fr : Pourrait-il y en avoir davantage à l'avenir, notamment lors des Jeux de Tokyo en 2020 ?
MT : Le dilemme, c'est que le nombre d'athlètes et de podiums est limité donc, si on rajoute certaines catégories (ndlr : qui définissent le niveau du handicap) pour le sport adapté, cela suppose qu'on en supprime d'autres, même si le CIP (Comité international paralympique) semble dans de bonnes dispositions pour rajouter des épreuves en natation et athlétisme. Mais, pour de nouvelles disciplines, il ne faut pas y compter, malgré une offensive du basket. Donc probablement rien de nouveau en 2020.
H.fr : Dans quelles disciplines les Français sont-ils engagés ?
MT : Nous avons deux pongistes : Lucas Créange et Pascal Pereira-Leal qui était médaillé de bronze à Londres en 2012. Et trois athlètes : Rodrigue Massianga (400 m), Damien Rumeau (lancer de poids) et notre jeune espoir, Gloria Agblemagnon, tout juste âgée de 18 ans qui défendra également nos couleurs en lancer du poids.
H.fr : Et donc aucun Français en natation ?
MT : Non, personne n'a atteint les minimas.
H.fr : Que font ces athlètes dans la vie ?
MT : Pascal, Lucas et Rodrigue se consacrent exclusivement à leur carrière sportive, vivant avec l'AAH (allocation adulte handicapé) et des aides de notre fédération. Damien, lui, travaille dans un Esat espaces verts à Perpignan. Quant à Gloria, elle est encore à l'école pour préparer un CAP.
H.fr : L'union entre le sport adapté et le handisport (handicap physique) n'était pas forcément au beau fixe il y a quelques années… La hache de guerre entre vos deux fédérations est-elle enterrée ?
MT : Cela progresse et je n'ai pas senti de difficultés. Le CSPF (Comité paralympique et sportif français) œuvre dans ce sens depuis plusieurs années. Toutes les fédés engagées pour les Jeux de Rio se sont rassemblées à Nice en novembre 2015 et ce regroupement a permis à nos sportifs de mieux se connaître lors de temps d'échanges et d'ateliers. Le dernier rassemblement a eu lieu le 1er septembre à Paris, juste avant le décollage. Un au revoir face à la presse, en présence du président de la République et les dernières recommandations à la délégation (article en lien ci-dessous).
H.fr : Dans quel état d'esprit se trouvent vos sportifs ?
MT : Ils sont prêts et ont hâte d'en découdre. Nous avons organisé un stage à l'Insep (Institut national du sport) en août 2016 pour leur expliquer dans quel environnement ils allaient évoluer. Et puis ils ont vu les JO à la télé alors ils ont déjà une petite idée du décor. Comme n'importe quel sportif, ils ne vont pas à Rio pour faire de la figuration et ont tous des espoirs de réussite.
H.fr : Des espoirs des médailles ?
MT : Oui, notamment en tennis de table ; nos deux sportifs sont respectivement 4e et 5e mondiaux. Pascal est champion du monde en titre. Nous espérons juste qu'ils se rencontreront le plus tard possible. Après, on ne sait pas encore lequel pourrait monter sur le podium ! En athlétisme, Rodrigue est champion d'Europe et recordman d'Europe IPC sur le 400 m et 2e mondial. Enfin, notre chalengeuse Gloria peut aussi aller chatouiller la 3e place.
H.fr : Que répondez-vous à ceux qui disent que le sport adapté ce n'est pas du haut niveau ?
MT : Qu'un Américain déficient intellectuel a fait un temps sur le 1 500 m qui lui aurait permis de décrocher la médaille de bronze chez les valides. Qu'un autre coureur était engagé sur le 50 km marche lors des JO de Rio et qu'il a terminé 20e. Nos sportifs commencent à faire des performances qui leur permettent de défier les « valides ». Rodrigue, par exemple, a fait 7e sur le 400 m en juillet 2016 lors des championnats de France. Gloria, au marteau, est dans le top 20 !
H.fr : Alors, dans ce cas, pourquoi ne concourent-ils pas avec les valides, à l'instar de l'athlète amputé Oscar Pistorius qui, à Londres, avait couru les JO et les Jeux paralympiques ou de cette Iranienne qui sera engagée sur les deux compétitions à Rio en tir à l'arc ?
MT : Ce pourrait en effet être un objectif mais le frein majeur c'est que nos sportifs ont besoin d'un environnement confortable et sécurisant, d'un coach qui les accompagne, les rassure, jusqu'au dernier moment, ce qui est interdit par le règlement. Par exemple pour aider à régler les starts au départ d'une course. Ils ne donnent le meilleur d'eux-mêmes que lorsqu'ils sont dans un cadre « adapté ».
H.fr : Constatez-vous une évolution depuis Londres dans le sport adapté ?
MT : Oui, manifeste ! Ça a vraiment eu un impact incroyable. Nous sommes passés à 61 000 licenciés, avec une augmentation très rapide. Les familles, après avoir vu les prouesses de nos champions à Londres, ont enfin su que cela existait et se sont dit : « C'est possible aussi pour nos enfants ! ». Lucas, par exemple, jouait au tennis de table chez lui ; il a vu Pascal à la télé et a osé franchir le pas. Le sport est en mesure d'offrir un véritable « statut » à des personnes déficientes intellectuelles. Ce n'est plus, comme dans Tintin, le mec qui se balade avec un pot de fleurs sur la tête mais de vrais athlètes qui font des performances.
Handicap.fr : La chaîne L'Equipe 21 a passé, en prime time, le mercredi 31 août, le document Performants autrement sur le parcours de trois sportifs déficients intellectuels qui visent les qualif pour Rio (article complet en lien ci-dessous). C'est en effet une première ?
Marc Truffaut : Oui, on y voit d'ailleurs Lucas et Rodrigue. C'est en effet inédit puisque c'est la première fois qu'un sujet de ce type passe à une heure de grande écoute sur une chaîne non cryptée, et surtout de sport. C'est très encourageant…