La SNCF est-elle tenue d'assurer les correspondances pour ses voyageurs à mobilité réduite entre les gares parisiennes ? Non, répond-elle à Kevin, qui a interpellé le groupe ferroviaire ainsi que la RATP, dans une lettre le 17 décembre 2022.
Pas le temps d'arriver
Kevin, de son nom Fermine, est bien connu de la SNCF puisque cet étudiant toulousain se déplaçant en fauteuil roulant électrique a intenté une action en justice pour dénoncer l'inaccessibilité des toilettes et du wagon-bar entre Paris et Toulouse. Accusant le transporteur « d'atteinte à la dignité », il a été débouté par la justice à trois reprises (Lire : Il accuse la SNCF d'atteinte à sa dignité : débouté! ). Pour autant, ce militant tenace poursuit ses batailles en faveur de l'accessibilité des transports. Dans l'affaire présente, il réclamait une « solution » pour, à son retour de Londres le 15 janvier 2023 à 17h47 gare du Nord, assurer son transfert vers la gare Montparnasse pour pouvoir prendre, à 19h11, le dernier train accessible de la journée vers Toulouse. Le seul parcours accessible en transport en commun entre les deux gares prend une heure environ mais le service Accès Plus SNCF Voyages impose une arrivée trente minutes avant le départ du train. Le timing ne colle donc pas.
3 solutions de substitution
Le jeune homme souhaite donc, face à l'inaccessibilité du réseau de transport en commun parisien, que les autorités de transport lui proposent, pour lui et son accompagnatrice, des alternatives. Il en liste trois, à savoir un « transport de substitution, en invoquant l'article 45 de la loi du 11 février 2005 », ou le « financement d'une nuit dans un chambre accessible, à proximité de la gare Montparnasse, avec deux lits séparés, afin de pouvoir prendre un train le lendemain matin, tôt » ou encore que « l'Intercités de nuit, à 21h42, lui soit rendu accessible, dans des conditions de voyage dignes (accès aux services comme tous les autres voyageurs et en particulier aux toilettes) ».
Pas du ressort de la SNCF
La SNCF lui a répondu le 20 janvier, certes un peu trop tard puisque son voyage était déjà passé, « en raison d'un afflux de réclamations dû aux différents événements » -nous étions en pleine grève au moment des vacances de Noël 2022-. Le service client TGV INOUI fait néanmoins savoir qu'il ne peut répondre « favorablement » à ses demandes au motif que la « SNCF ne peut être tenue responsable pour le réseau Transilien relevant de l'autorité organisatrice », à savoir la RATP. Le courrier précise que « tout changement de gares au sein d'une même ville dont SNCF ne peut assumer la liaison n'est pas considéré comme une correspondance. De ce fait, il (lui) revient lors de la préparation de (son) voyage de choisir les trains (lui) permettant un changement de gares dans les délais liés à (son) assistance garantie Accès Plus ».
Seulement en cas de travaux
Le service précise que « les transports de substitution sont une obligation légale dans le cadre par exemple de travaux impactant l'accessibilité d'une gare ou d'un manque de personnel ou de matériel lorsqu'un service d'assistance y est déployé ». En ce qui concerne l'accessibilité aux trains de nuit, ceux-ci ont été exclus, du fait de leur ancienneté, du Schéma directeur national d'accessibilité des services ferroviaires de 2016. « Tout nouveau matériel doit, en revanche, être aux normes ». Or, depuis cette date, « il n'y a pas eu de nouveaux trains de nuit mis en place », précise le groupe. Kévin s'est dit « peu surpris de la réponse » de la SNCF et « dépité de la situation ». Pour sa part, la RATP a répondu mi-janvier en s'excusant pour le délai mais sans apporter aucun élément de réponse.
Un service conjoint RATP/SNCF ?
Selon Claude Boulanger-Reijnen, vice-président de la commission transports et mobilités du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional) Ile-de-France, la demande de Kevin Fermine est « totalement légitime ». Il plaide à son tour pour que RATP et SNCF créent conjointement un service pour assurer les transferts entre deux gares parisiennes, proposition qu'il avait déjà faite il y a plus de dix ans, sans réponse des deux opérateurs. A l'époque, la présidente de la RATP n'était autre que... Elisabeth Borne.
La solution PAM intégrée dans le Pass Navigo ?
Depuis 2021, en tant que non résident francilien, Kevin a, lui aussi, droit aux services de transport à la demande parisien (PAM). « L'accès à ce service pour les personnes disposant d'une carte mobilité inclusion ne peut être restreint par une obligation de résidence sur le ressort territorial », précise l'article 19 de la loi LOM de 2019 (loi d'orientation des mobilités). Mais c'est une disposition souvent ignorée, peu promue par le service PAM, alors même que des informations contradictoires, non mises à jour, circulent sur le net.
A cela s'ajoute le fait, selon Claude Boulanger-Reijnen, « qu'il n'y a pas de priorisation pour les motifs de déplacement, notamment un transfert entre gares » donc « sans garantie de pouvoir obtenir ce service dans de bonnes conditions ». Il milite depuis 2013 pour que le Pass Navigo (qui permet de voyager sur tout le réseau francilien) intègre le PAM afin d'assurer la continuité des parcours de mobilité pour les voyageurs en situation de handicap.
Seules 50 % des stations potentiellement accessibles
Les années s'écoulant, Claude Boulanger-Reijnen rappelle que depuis que l'inaccessibilité technique de 50 % des stations de métro a été constatée, selon une déclaration de 2018 de Stéphane Beaudet, vice-président de la Région en charge des Transports (concernant d'ailleurs les principales stations qui assurent le noyau des correspondances), on survalorise le transport de surface. Mais « pourquoi pas aussi les moyens de substitution réactifs et de qualité ? », questionne-t-il. Il préconise des petits transporteurs autres que le PAM avec davantage de disponibilités et de souplesse. « Si les touristes ont le courage de venir assister aux Jeux de Paris 2024, cette question sera plus encore d'actualité, alors qu'Ile-de-France Mobilités, dans le cadre d'appels à projets, a favorisé une rationalisation comptable au bénéfice d'entreprises disposant d'une flotte de véhicules plus importante mais non reliés aux systèmes de gestion et d'informations intermodaux», conclut-il.
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