Ils mangent de la terre, de la craie, du charbon, du sable, du bois, du savon, du papier, des pierres, parfois même des matières fécales… Et sont atteints du syndrome ou maladie de Pica, qui se traduit par un besoin irrépressible de consommer des substances non comestibles et non nutritives, avec des conséquences potentiellement désastreuses sur leur santé. Ce trouble rare et méconnu du grand public est au cœur de l'intrigue du film Swallow, ou « avaler » en français, en salle le 15 janvier 2020.
Un pitch intrigant
Hunter, interprétée par l'actrice Haley Bennett, semble mener une vie parfaite aux côtés de Richie, son mari qui vient de reprendre la direction de l'entreprise familiale. Mais, dès lors qu'elle tombe enceinte, prisonnière de son mode de vie et de sa belle-famille, placée au rang d'objet, elle développe ce trouble compulsif du comportement alimentaire. Elle se met à ingérer, de manière répétée, une bille, une punaise, une pile… Ses proches décident alors de contrôler ses moindres faits et gestes pour éviter le pire et surtout qu'elle ne porte atteinte à la lignée des Conrad… Mais cette étrange obsession ne cacherait-elle pas un secret plus terrible encore ? Le réalisateur Carlo Mirabella-Davis, qui signe-là son premier long-métrage, s'est inspiré de l'histoire de sa grand-mère qui, dans les années 1950, femme au foyer, a commencé à développer des troubles obsessionnels compulsifs et a fini par être « internée ».
Comme la pie chapardeuse
En latin, « pica » désigne « la pie », cet oiseau réputé voleur qui chaparde tout ce qu'il trouve. Cette maladie est classée parmi les troubles du comportement alimentaire dans le DSM V (Diagnostic and statistical manual of mental disorders), manuel de référence dans le diagnostic les désordres mentaux. Même s'il atteint les personnes à tout âge, on considère que sa survenance ne doit alerter qu'au-delà de deux ans car les enfants en bas âge ont l'habitude de mettre toutes sortes de matières à la bouche, sans que ce comportement ne soit pour autant pathologique. A ne pas confondre, non plus, avec des « traditions », comme la « géophagie », répandue dans certaines cultures africaines ou sud-américaines, qui consiste à manger de la terre.
Le Pica peut parfois être associé à un trouble autistique sévère (article en lien ci-dessous) ou corollaire de troubles psychiques comme la schizophrénie. « En août 2019, le département de médecine de l'université d'Harvard présentait le cas d'une personne dont le choix s'était porté sur le revêtement de ses murs », rapporte le Huffington Post. Une autre dégustait la mousse des accoudoirs de ses canapés ou encore son matelas par petits bouts. « Mon fils avait l'habitude, depuis tout petit, de manger du papier et du tissu, témoigne Lucie, dans Marie Claire. J'avais peur que cette mauvaise habitude le rende malade mais je ne savais pas que c'était inquiétant… Jusqu'au jour où la directrice de l'école m'a appris qu'il grignotait les cahiers et les écharpes de ses camarades. »
Diagnostic souvent tardif
Pour élaborer son scénario, Carlo Mirabella-Davis s'est rapproché de la psychoclinicienne Dr Rachel Bryant-Waugh, experte mondiale dans ce domaine. Un suivi psychologique, associé à une prise en charge pluridisciplinaire, est conseillé pour enrayer ce trouble. Les thérapies comportementales, comme la méthode ABA (Applied behavioral analysis), peuvent également donner des résultats chez les enfants. Encore faut-il que ce trouble soit clairement identifié car de nombreux patients ne consultent que lorsque les complications, souvent graves, commencent à produire leurs effets (douleurs abdominales, vomissements, constipation, abrasion des dents, anémies, empoisonnement…). A ce titre, il est difficile d'évaluer son ampleur.
Pour Jean-Victor Blanc, psychiatre, « les chirurgiens gastriques sont peut-être un peu plus susceptibles de rencontrer des malades de Pica qu'un psychiatre finalement car, en cas d'ingestions trop importantes ou de lésions, ce sont eux qui vont opérer », explique-t-il dans Psychologies Magazine, certains patients allant jusqu'à absorber des objets tranchants ou pointus, avec le risque d'une perforation du tube digestif. En 2017, un chirurgien indien a retiré 263 pièces de monnaie, 100 clous et des éclats de verre d'un estomac. C'est en voyant la radio d'un patient que le réalisateur de Swallow a décidé de focaliser son film sur la maladie de Pica. Sa sortie et son succès annoncé après son « prix spécial » au Festival de Deauville auront le mérite d'alerter le grand public… Un film à « consommer » sans modération ?