« Il suffit qu'Arthur voit deux fois le chauffeur de bus et c'est son meilleur ami ! Il a le contact facile, est très à l'aise avec les adultes et s'adresse à eux en les regardant droit dans les yeux », confie sa mère, Anne-Laure Amedjian. L'hypersociabilité est l'une des caractéristiques majeures du syndrome de Williams-Beuren, une maladie génétique rare qui touche une naissance sur 8 000 et se manifeste notamment par une déficience intellectuelle, un retard psychomoteur et des malformations cardiaques. Cet attrait pour l'Autre fait des « Williams » des êtres « solaires » et « chaleureux ». Mais cette particularité comporte un pan plus sombre...
Entre amusement et hostilité
« Au restaurant, il checke les serveurs et arrive à nous dégoter des tables », sourit Anne-Laure. « C'est génial de l'avoir en vacances, il nous fait rencontrer des gens à qui l'on n'aurait jamais parlé. Il leur demande : 'Ça va ? Vous habitez où ? Vous faites quoi dans la vie ?'. La plupart du temps, ils sont ouverts et assez sympas, ça les amuse. » Certains sont davantage hostiles et le considèrent « mal élevé », comme lorsqu'Arthur (en photo ci-dessus) lit le journal de son voisin de bus. « Il faut constamment s'assurer qu'il ne dérange pas, s'excuser pour lui le cas échéant et lui faire comprendre que ce n'est pas une façon de faire », souffle sa mère.
Des personnes très tactiles et insouciantes
« Il est très tactile aussi. Cette absence d'inhibition est compliquée à gérer, il peut être assez invasif », poursuit-elle. « Les Williams sont les rois des câlins, ça fait partie de leur équilibre, mais ils ne comprennent pas qu'on ne peut pas en faire à tout le monde. Or, un enfant de 5 ans qui vous court dans les bras parce qu'il vous a vu la veille à la boulangerie, c'est très mignon. Mais à 13, 14, 15 ans, beaucoup moins », souligne Anne-Isabelle Gutierrez, déléguée générale de l'association Autour des Williams.
Une absence de méfiance préjudiciable
« Les Williams mettent un filtre positif sur la vie car ils n'ont pas les mêmes codes que nous », ajoute-t-elle. « Il nous faut 33 millisecondes pour juger si une personne inspire confiance car nous 'scannons' le visage de manière triangulaire sur toute la partie des yeux, du nez et de la bouche. Les Williams, eux, scannent uniquement les yeux. Ils ne disposent donc pas de toutes les informations nécessaires pour traduire cette confiance. Résultat : ils l'accordent 99 % du temps. » Ils sont donc une proie facile pour les manipulateurs et autres êtres mal intentionnés. « Plusieurs personnes, se faisant passer pour des amies, ont tenté de lui extirper de l'argent », révèle la mère d'Arthur. « Et lorsqu'on l'empêche de leur donner, il s'en prend à nous en disant qu'on le prive d'amitiés. C'est dur pour les parents... »
« Il tombe amoureux en quelques secondes »
L'amour occupe également une place prépondérante dans la vie d'Arthur. Son « objectif ultime » c'est d'être en couple, écrit-il sur son compte Instagram. Et la non-réciprocité engendre souffrance et colère. Anne-Laure se souvient du jour où il a « jeté son téléphone de rage parce qu'une fille lui avait posé un lapin ». « Lorsqu'on visite un musée ou une expo, il parle avec une jeune fille et tombe amoureux en quelques secondes », raconte sa mère. « Il pense vraiment avoir un échange profond avec elle et que ça va durer toute la vie. » À l'issue de la visite, lorsqu'il comprend qu'il ne la reverra plus, le jeune homme de 19 ans est inconsolable et pleure à chaudes larmes. « La régulation sociale n'est pas naturelle chez ces personnes qui sont très instinctives et très spontanées, c'est l'affect qui prend le dessus », observe Florence Demourant-Nef, psychothérapeute.
Un risque de dépression accru
Paradoxalement, le risque de dépression est majoré chez les Williams. « Le manque de connexion peut créer incompréhensions, anxiété et isolement », insiste Anne-Isabelle Gutierrez. « Le moindre rejet, même s'il n'est pas réel et même s'il est 'normal' – par exemple, je veux faire un câlin à la boulangère mais elle ne me connaît pas donc elle ne me le rend pas – provoque un mal-être excessivement profond », précise Mme Demourant-Nef.
« Et chaque frustration va engendrer un besoin de sociabilisation encore plus accru pour compenser et obtenir la reconnaissance tant désirée. » Ils vont donc être d'autant plus exubérants et tactiles pour obtenir leur précieux shot d'ocytocine et s'assurer que tout va bien émotionnellement. Un cercle vicieux...
Le SWB, opposé de l'autisme : cliché !
Pour toutes ces raisons, le syndrome de Williams-Beuren est souvent considéré comme « l'opposé de l'autisme », qui se caractérise notamment par des difficultés de communication et relationnelles. « C'est tentant car ce sont deux troubles neurodéveloppementaux qui touchent, d'une manière ou d'une autre, à la sociabilité. Mais c'est affreusement simpliste et éthiquement problématique », estime Florence Demourant-Nef. Par ailleurs, le besoin d'attachement des Williams n'est pas exclusivement dû à un intérêt social. « Sur le plan neurologique, c'est assez fascinant ce qui se joue », s'enthousiasme-t-elle. « Le volume de l'amygdale dans le cerveau est plus petit, donc la menace sociale, le danger perçus prennent beaucoup moins de place que dans un cerveau neurotypique. Et quand on appréhende moins le danger social, on va plus facilement vers les autres... »
Un cerveau en quête d'ocytocines
Mme Demourant-Nef relève également une hyperactivation des régions liées au traitement émotionnel et à la reconnaissance faciale. « Si la personne qu'ils croisent dans la rue a un trait physique similaire à celui d'un de leurs proches, un élan social s'active immédiatement. C'est neurobiologiquement paramétré. » Le système qui régule l'ocytocine, considérée comme l'hormone de l'amour ou du lien, est également « hyperactivé » chez les personnes porteuses du syndrome de Williams, tandis qu'il est déficitaire chez celles avec des troubles du spectre de l'autisme. « Finalement, ce qu'on perçoit comme étant une hypersociabilité est davantage une appétence pour l'ocytocine », résume la spécialiste.
Une rééducation des codes sociaux
Les parents et les éducateurs ont donc la (chronophage) tâche de « déprogrammer ce qu'ils sont génétiquement programmés à faire », en martelant les codes sociaux : « Tu peux parler à un inconnu mais ne lui saute pas dans les bras ». Et le plus tôt est le mieux ! « C'est difficile pour un enfant de 10 ans de tout réapprendre », souligne Anne-Isabelle Gutierrez. Pour Florence Demourant-Nef, l'enjeu thérapeutique majeur est de canaliser leurs élans sociaux sans pour autant les brider, en construisant des repères clairs et en multipliant les mises en situation. « À quel moment je dois m'inquiéter ? Quels indices je peux répertorier comme étant des signes de manipulation, de danger, de mensonge pour me protéger ? » Elle conseille par exemple de faire un tableau associant chaque action à des couleurs. « La boulangère qui a refusé mon câlin a réagi 'normalement' même si c'était douloureux. On est donc dans le vert », illustre-t-elle. « Un adulte qui me parle à 4 centimètres de mon visage, c'est orange voire rouge. »
Créer des bulles sociales sécures
« L'idée est de toujours prendre du recul sur les situations et d'en parler avec ses proches car les points de vue extérieurs sont enrichissants », poursuit la thérapeute. Elle recommande également de créer des « bulles sociales sécures », dans des lieux familiers, avec des amis et des proches, pour réussir à créer des sphères où la personne porteuse du SWB peut être complètement elle-même. Un espace dépourvu de risque, où elle peut lâcher ce besoin de canalisation.
Un réseau de mamans relais
Pour les familles en quête d'informations et d'autres conseils, l'association Autour des Williams a mis en place un « réseau de mamans relais » qui partagent leur expérience avec une prise de recul, 10-15 ans après le diagnostic. « La pair-aidance est précieuse ! », affirme Anne-Isabelle Gutierrez. Et de conclure : « Il y a beaucoup de richesses dans le handicap, et surtout dans le syndrome de Williams, et l'hypersociabilité en fait partie. Ça fait un bien fou d'être face à une personne qui voit la vie en rose et vous veut juste du bien. C'est une vraie leçon d'humanité ! »
© Anne-Laure Amedjian