Par Patrick Filleux
Une expédition sans précédent, un défi au handicap, une aventure sibérienne extrême, comme un message d'espoir : sept personnes aveugles et sourdes vont affronter l'hiver russe en traversant le lac Baïkal gelé à skis de randonnée. Ces cinq hommes et deux femmes seront accompagnés d'autant de binômes voyants et entendants. Pendant 10 jours, du 24 février au 4 mars, ils vont traverser la surface gelée du grand lac, en autonomie, sur une centaine de kilomètres. Skis de randonnée avec peau de phoque aux pieds, ils tracteront des traîneaux chargés de matériel et de nourriture.
Sortir de la honte d'être sourd ou aveugle
Le père et l'âme de ce « Défi Baïkal » est le Strasbourgeois Gérard Muller, 67 ans. Atteint de rétinite pigmentaire, une affection génétique, cet ancien pharmacien a perdu la vue au fil du temps depuis l'âge de 20 ans. D'aventure en aventure sur les routes du monde, il milite depuis plus de dix ans pour l'insertion des personnes aveugles et malvoyantes. Âgés en moyenne d'une trentaine d'années (à l'exception de Gérard Muller), les participants sont atteints d'affections dégénératives (rétinite pigmentaire et syndrome de Usher) qui leur ont fait perdre la vue et, pour trois d'entre eux, également l'ouïe. « Comme les précédentes, cette nouvelle expédition a toujours le même but, mon obsession, mon sacerdoce : sortir les aveugles, mais aussi les sourds, de la prison de leur handicap », dit à l'AFP Gérard Muller. « Il y a une honte de soi-même, de l'image qu'on renvoie. Les mal voyants ou les sourds perdent l'amour d'eux-mêmes, plongés dans l'obscurité et le silence », estime-t-il.
Moins 30 degrés
En 2011, l'ancien pharmacien a parcouru seul le Chemin de Compostelle, équipé d'un prototype GPS vocal pour aveugles. En 2008, il a participé en tandem à la cyclo-caravane Paris-Pékin (12 000 km). Il s'est aussi investi dans de nombreuses échappées en vélo et tandem avec de jeunes aveugles au Brésil et au Burkina Faso. Gérard Muller a monté l'expédition au Baïkal avec son fils Pierre, 45 ans. Chef d'expédition, ce dernier est guide de haute montagne et médecin urgentiste. Il partagera l'encadrement avec Pascal Arpin, également guide de haute montagne. « Notre plus grand adversaire sera le froid avec des températures qui peuvent descendre à -30°C, explique Pierre Muller à l'AFP. Chaque matin, les préparatifs pour bien s'équiper et se protéger seront longs et difficiles au sortir des tentes. Pour le reste, la formidable volonté des participants aplanira les difficultés ».
Capables de relever des défis
Le « Défi Baïkal » est soutenu par l'Institut de la vision (site en lien ci-dessous) à Paris, à la pointe de la recherche sur les prothèses rétiniennes. « Le message de cette expédition est extrêmement positif », assure à l'AFP Serge Picaud, directeur de recherche à l'Institut. « Il faut faire prendre conscience aux personnes avec un handicap visuel et auditif qu'elles sont capables de relever d'importants défis. Et ce trek doit aussi servir à sensibiliser le monde de l'entreprise à l'embauche des personnes handicapées ».
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