Tétraplégique après un accident de rugby, son livre rassure

A 24 ans, Tony Moggio devient tétraplégique à la suite d'un affrontement trop brutal. 10 ans plus tard, il publie "Les accidents dans le rugby-Ma vérité", pour sensibiliser et favoriser la mise en place de solutions concrètes. Carton plein ?

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Le 7 février 2010, Tony Moggio, 24 ans, talonneur emblématique du club de rugby de Castelginest (Haute-Garonne), fonce tête baissée dans la mêlée. Il la veut cette victoire, à tout prix, et l'obtiendra... au péril de sa motricité. « Ce jour-là, j'ai laissé 80 % de mon corps sur le terrain. J'ai pris l'équivalent d'une tonne sur les cervicales », explique-t-il. Sous la pression, ses vertèbres craquent une à une, la troisième sonne le glas de sa carrière sportive et de sa vie de « valide ». Sa moelle épinière se sectionne, il s'effondre, incapable d'effectuer le moindre mouvement ni même de parler. Les pompiers se précipitent sur le terrain, suivis du Samu, puis c'est à l'hélicoptère de faire son entrée. « J'ai fait trois arrêts cardiaques, une embolie pulmonaire... J'aurais dû mourir sur le coup mais suis resté conscient tout le long, révèle Tony. Les médecins se demandent encore comment j'ai pu survivre à un tel choc. » Après Talonneur brisé, publié en 2015 (avec la participation de Philippe Motta), il sort un deuxième opus, Les accidents dans le rugby-Ma vérité (co-écrit avec Bruno Fabioux, éditions Privat), presque dix ans jour pour jour après celui qui l'a rendu tétraplégique.

Handicap.fr :Comment s'est terminé ce match de l'hiver 2010 ?
Tony Moggio : Je suis sorti sur un brancard, applaudi par la foule, et le match a repris. Mes équipiers jouaient la peur au ventre, n'ayant qu'une hantise, « finir comme moi ». Mais il était préférable de se remettre en selle rapidement, comme après une chute de cheval ou une noyade. Je me suis souvent demandé si, à leur place, j'aurais continué à jouer... Vous imaginez, il fallait avoir du cran tout de même, mais ils étaient prêts à tout pour m'offrir cette victoire.

H.fr : En quoi votre accident a-t-il été un élément déclencheur ?
TM : Plusieurs joueurs s'étaient déjà blessés avant et je pense que mon accident, très médiatisé, a été la goutte d'eau. Depuis, les règles ont changé et il n'y a plus d'accident de mêlée. L'arbitrage a beaucoup évolué aussi et sanctionne bien plus qu'auparavant. Les auteurs d'actions violentes savent qu'ils peuvent être mis « au placard », autrement dit sur le banc de touche pour une durée indéterminée. Les commissions de discipline ne rigolent pas avec ce type de débordements.

H.fr : Cela vaut aussi pour les clubs amateurs ?
TM : A fortiori pour les clubs amateurs, qui font parfois plus de victimes. Malheureusement, ces derniers ne disposent pas du même staff médical que les professionnels, par manque de moyens. J'aimerais que ce soit le cas mais il y a encore du travail. Je garde bon espoir. En attendant, plusieurs règles ont été mises en place pour limiter les blessures comme, par exemple, le carton bleu, que l'arbitre peut brandir en cas de collision. Avant, on laissait quelques minutes au joueur pour reprendre ses esprits puis il repartait sur le terrain. Avec ce système, il est renvoyé directement aux vestiaires et tenu de faire des examens médicaux poussés. En outre, plusieurs règles ont été expérimentées ces dernières années dans le rugby amateur : l'abaissement de la ligne du plaquage du sternum à la taille, l'interdiction du plaquage à deux en simultané et l'obligation pour le porteur du ballon de se tenir droit avant l'impact. L'objectif de mon livre est justement de faire un état des lieux des pratiques, des évolutions et des risques.

H.fr : Comment est née l'idée de ce second ouvrage ?
TM : Je recevais des centaines de témoignages de parents qui s'inquiétaient des risques que comportent cette pratique. A force de voir leurs enfants « tout cabossés » après leurs matchs ou leurs entraînements, ils se demandaient si le rugby était un sport dangereux. J'ai voulu répondre à leurs interrogations, et surtout les rassurer...

H.fr : Conclusion, le rugby est-il un sport violent ?
TM : Il y a de la violence dans tous les sports de contact. A la boxe, des joueurs sont mis KO tous les week-ends et pourtant personne ne s'alarme. Mais, pour moi, le rugby n'est pas un sport violent dans le sens où les joueurs n'ont aucune intention de blesser leurs adversaires. Le problème, c'est qu'il a évolué beaucoup trop vite et les règles n'ont pas suivi. A la base, c'est un sport d'évitement, un sport jovial. Aujourd'hui, les enjeux sont plus sérieux, les collisions plus nombreuses et les gabarits plus solides ; un arrière ne fait plus 70 kilos, il en fait minimum 90, ce qui rend les placages plus percutants.

H.fr : Quels sont les accidents les plus fréquents ?
TM : Les accidents de mêlée étaient très répandus avant 2012, maintenant, ce sont les « KO », autrement dit les « gros placages ». Même s'ils sont protégés et se pensent parfois « invincibles » à force de subir des chocs répétés, les joueurs ne sont pas à l'abri d'une rupture d'anévrisme. C'est un peu comme une vieille porcelaine, elle se fissure au fil des ans et, un jour, éclate littéralement. Sur le terrain, poussé par l'adrénaline, on a envie de prendre le dessus lors d'un affrontement, c'est assez typique de l'être humain, mais c'est cette « pulsion » qu'il faut contrôler.

H.fr : Ces risques sont-ils suffisamment pris en compte par les instances du rugby ?
TM : Le risque zéro n'existe pas mais on peut le limiter à grand renfort de sensibilisation. A ce titre, la Fédération française de rugby (FFR) a lancé, en 2018, le programme « Bien joué » qui propose 14 mesures pour une pratique « adaptée, éclairée et sécurisée ». Destiné à tous les acteurs du rugby amateur français, il insiste sur l'échauffement, la formation du joueur, la maîtrise des fondamentaux comme le plaquage, la connaissance des règles, l'information des mesures de prévention, de détection, de prise en charge et du suivi des joueurs victimes d'un choc ou d'une commotion. Sur le plan technique, le « Baby scrum training » est désormais mis à disposition de chaque ligue et, à terme, de chaque club, je l'espère. Grâce à ses capteurs, cette machine permet de préparer les joueurs aux mêlées et autres impacts et de déceler leurs fragilités au niveau du rachis cervical.

H.fr : De quelle prise en charge bénéficient-ils après un accident ?
TM : Lorsqu'un joueur est blessé, il est immédiatement pris en charge par l'assistance médicale. C'est le président de club qui fait les démarches auprès de l'assurance (GMF). Après un placage « musclé », par exemple, un protocole de commotion est mis en place et le joueur passe une batterie de tests pour voir s'il est apte à reprendre.

H.fr : Avez-vous reçu des critiques de la fédération ou de clubs après la parution de ce livre ?
TM : Non, pas du tout. La première avait, en effet, soulevé quelques inquiétudes : « Qu'est-ce qu'un joueur accidenté va bien pouvoir raconter ? ». Mais je ne suis pas dans l'optique de critiquer ni de « casser » mais plutôt d'avancer et de mettre l'accent sur la prévention. En revanche, j'ai été déçu de constater que certaines instances et présidents de club -une minorité, heureusement- n'ont pas pris la peine de me répondre à l'annonce de la sortie de mon livre. Au total, j'ai envoyé plus de 5 000 mails, un travail titanesque en cas de tétraplégie et d'absence de motricité au niveau des doigts...

H.fr : Des projets en perspective ?
TM : Des tonnes, à commencer par celui d'être le meilleur des papas puisque ma femme et moi attendons un bébé. Un troisième livre est aussi en préparation, qui sera la suite du premier. Il y aura également des défis littéraires, artistiques... J'aime sortir de ma zone de confort et m'aventurer sur des terrains où personne ne m'attend, j'aurais pu le faire en étant valide, j'aurais moins galéré, mais bon. Je n'en oublie pas pour autant mes premières amours, le sport. Un an après avoir traversé le golfe de Saint-Tropez à la nage, à la seule force de mes bras (article en lien ci-dessous), je participerai, en tant que parrain de La ligue contre le cancer, au « Relais pour la vie », les 13 et 14 juin 2020, à Saint-Gaudens (Haute-Garonne). Ce nouveau défi consiste à former des équipes d'une vingtaine de coureurs/marcheurs ou, dans mon cas, rouleurs, qui se relaient pendant 24 heures pour lutter contre cette maladie qui tue plus de 150 000 personnes chaque année. Au programme : concerts, festivités et gastronomie sur fond de sensibilisation.

© Qiang Xu

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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