Par Zoé Leroy
A sa création en 1978 par des éducateurs spécialisés, l'objectif de la Compagnie de théâtre l'Oiseau Mouche était de faire monter sur scène des personnes en situation de handicap mental jusque-là « absentes du paysage théâtral français », explique Chrissie Carpentier, chargé des relations avec le public. « Beaucoup de metteurs en scène étaient alors attirés par la spécificité des membres de la troupe et centraient leur pièce sur le rejet et le handicap. Mais, peu à peu, les comédiens se sont professionnalisés et la troupe s'est tournée vers du théâtre contemporain. On n'est pas une agence de mise à disposition de comédiens handicapés », affirme-t-elle. A tel point d'ailleurs que la compagnie, qui n'a pas de metteur en scène attitré, communique peu sur la spécificité des comédiens. Il s'agit de faire de l'Oiseau Mouche une troupe de théâtre comme les autres : « On n'est pas un porte-parole du handicap en France », insiste Annabelle Maillez, chargée de développement.
Sous le statut d'Esat
La compagnie fonctionne sous le statut d'Esat (Établissement et service d'aide par le travail). Elle compte vingt-trois comédiens professionnels permanents, admis après audition. N'est pas reçu qui veut : « Les postulants doivent montrer une appétence pour la scène, on ne peut pas travailler avec des personnes qui n'ont pas vocation à être sur un plateau, mais comme les Esat ont des procédures très réglementées pour les admissions, on joue un peu avec les règles...», avoue-t-elle. C'est un metteur en scène qui procède à la sélection, sur des critères subjectifs : « présence sur le plateau, déplacement dans l'espace, plaisir d'être sur scène...», précise-t-elle. Des critères éducatifs sont aussi retenus : « La personne sait-elle faire la différence entre la fonction et la réalité ? Est-elle capable de s'exprimer ? D'intégrer une troupe ? ».
Un Ovni du théâtre français
« C'est un projet unique en France à ce stade de professionnalisation. Dans le paysage médicosocial et culturel français, la compagnie de l'Oiseau Mouche est encore un ovni », assure Mme Carpentier. Les comédiens de la troupe se perfectionnent chaque jour dans le théâtre à Roubaix. Ils se forment à de nouvelles techniques au gré des intervenants (chorégraphes, marionnettistes...), travaillent avec les éducateurs sur la culture générale, la mémorisation des textes, la compréhension, la lecture, puis répètent. Soumis eux aussi à la loi du casting, cinq comédiens de la troupe ont été choisis par les conceptrices de « Pourvu qu'on ait l'ivresse », une performance conçue par la chorégraphe Latifa Laâbissi et la plasticienne Nadia Lauro. Travailler avec cette troupe, « c'est ni un plus, ni un moins, c'est une adéquation entre ce qu'on avait envie de faire et leur qualité d'interprète », selon Mme Laâbissi. « La nouveauté est la présence d'un éducateur lors des répétitions. On se demandait si on en avait besoin, mais c'est un lien très précieux avec les comédiens pour qui il y a une modalité d'apprentissage, de la mémoire, de la communication », relève-t-elle.
La participation au festival « On » d'Avignon
Hervé Lemeunier, 49 ans, est à l'affiche de cette création. Membre de la troupe depuis 1995 et « passionné » par son métier, il a tourné dans une vingtaine de pièces, mais aussi dans quelques films comme « Henri » de
Yolande Moreau. Etre comédien « ce n'était pas un rêve d'enfant, c'est une assistante sociale qui m'a conduit ici, qui m'a permis de devenir comédien », raconte-t-il. « Quand j'annonce mon métier, les gens sont étonnés, curieux et émerveillés, mais ils ne s'imaginent pas la somme de travail ! Certains pensent que c'est le star-system, les paillettes », poursuit-il. Après un rodage à Roubaix, « Pourvu qu'on ait l'ivresse », part en tournée à partir de mars en France, avec une première date au Théâtre Nanterre-Amandiers le 24. En attendant un jour, objectif de la compagnie, une participation au «On» d'Avignon, après trois années de «Off».