Toucher la Vénus de Milo: une permission pour les aveugles?

Dans les musées, "interdiction de toucher" et gare au cri strident du gardien de salle ! Et si on changeait la donne pour permettre à certains publics de caresser la Vénus de Milo ou le David de Michel-Ange ? On appelle cela le "droit au toucher".

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Reproduction en résine du tombeau de Jules 3 par Michel-Ange à Rome.

Le « droit au toucher », c'est l'une des cinq revendications présentées le 15 mai 2024 aux députés à l'occasion d'une table ronde sur l'accès à la culture des personnes déficientes visuelles. Objectif ? « Faire d'eux le poil à gratter du gouvernement sur cet enjeu », explique Pierre Marragou, président de l'association apiDV.

Des maquettes devant les monuments

Première priorité, la plus simple à mettre en place, implanter des maquettes devant les principaux monuments historiques, « appréciées aussi par les enfants ». Château de Pau, cathédrale de Strasbourg, de nombreuses villes s'en saisissent, en France comme ailleurs. Dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens, à Rome, on prend conscience du travail monumental de Michel-Ange en découvrant une copie du tombeau du pape Jules III à tâtons (photo ci-dessus). Mais cela reste l'exception ! « A Paris, on en trouve quelques-unes à la Villette mais rien n'est prévu sur le futur parvis de Notre-Dame ou devant les Invalides, la Tour Eiffel », s'impatiente apiDV. En 2022, l'association fait une proposition dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris, écartée à cause d'une raison qu'elle juge « savoureuse » car elle a « eu le malheur d'écrire dans le descriptif qu'il faudrait former à la médiation par le toucher or le budget participatif ne finance que de l'investissement et pas du fonctionnement ».

Louvre, une petite galerie tactile

Et dans les musées ? Au Louvre, rien d'autre à se mettre sous les doigts que la petite galerie tactile (80 m2 pour une surface totale de 73 000 m2 !) qui propose des facsimilés de certaines statues et pas parmi les plus réputées (Louvre : un nouvel espace inclusif pour toucher la sculpture). « Mais pas de représentation en relief de la Joconde ou du radeau de la Méduse », s'impatiente apiDV qui réclame « dans chaque département des reproductions à côté des originaux ». Solution envisageable puisqu'elle est déjà proposée dans le département des arts de l'Islam inauguré en 2012.

Prière de toucher !

Au nouveau Musée Carnavalet à Paris, deux ou trois planches tactiles sont disponibles dans chaque espace. Celui de d'Aquitaine, à Bordeaux, offre, lui aussi, un exemple remarquable avec un parcours sensoriel. En 2019, l'expo itinérante Prière de toucher a assuré la promotion de cet enjeu dans plusieurs musées français (Rouen, Montpelier, Lille...), avec l'idée de mettre tout le monde à égalité en proposant aux voyants de se bander les yeux (A Rouen, une expo les yeux bandés pour voir l'art autrement).

A prendre avec des gants

Autre proposition, permettre de toucher de « vraies » œuvres mais la plupart des conservateurs « bloquent à cause de leur impératif de conservation qu'ils estiment souvent contradictoire », observe Pierre Marragou. Certains pionniers, plus souples, offrent cette possibilité mais dans le cadre de visites encadrées. « Un progrès qu'on accueille très favorablement mais qui limite les occasions, poursuit-il. Parce que, si je suis Australien et que je visite le Louvre, je ne sais pas forcément qu'il y a une visite tactile à 15h tous les trois mois. En encore ! Sa page d'activités handicap visuel affiche, pour le moment, une erreur 404 ! ». Certaines pièces pourraient ainsi déroger à la règle pour ce public spécifique.

British museum, caresse aux antiquités

Just do it, d'autres l'ont fait ! C'est le cas du British museum de Londres qui, dans son département antiquités, a labellisé une dizaine de pièces qui peuvent être « palpées », l'intérêt étant de sentir le contact de la pierre et plus seulement de la résine. « Honnêtement, ils n'ont pas choisi les plus fragiles. Des sphinx, des sarcophages qui ont traversé les millénaires, sans trop de risque de dégradation », se souvient Pierre. Le visiteur, après avoir justifié son handicap, récupère un badge identifié par les gardiens. Stéphane Gaillard, actuel directeur de l'Institut national des jeunes aveugles (Inja) de Paris, qui fut en d'autres temps celui de la villa Médicis de Rome, cite plusieurs exemples italiens où spontanément on propose des gants et une liste d'œuvres. D'autres initiatives émergent en Grèce où les gardiens sont formés à la médiation par le toucher.

Un ministère pas assez pro-actif ?

« On a bon espoir que notre ministère de la Culture y soit attentif, poursuit Pierre Marragou. Le problème c'est qu'il ne semble pas avoir pris conscience qu'il était un ministère et, sur beaucoup de sujets, nous répond que c'est compliqué car les musées sont indépendants et qu'il faut les convaincre. Il peut quand même mettre des lois à l'ordre du jour de l'Assemblée, faire pression via les budgets et donner des consignes. On attende de lui un rôle plus proactif pour pousser les monuments historiques à mettre en œuvre le droit au toucher dans leur cahier des charges. » Pour le moment, cela reste au bon vouloir de chacun.

La visite idéale ?

Alors, Pierre, à quoi ressemble votre visite idéale ? « C'est une combinaison de plusieurs choses mais surtout la possibilité de toucher certaines œuvres non fragiles, de manière spontanée, sans avoir à réserver et au milieu du grand public. Et d'avoir dans chaque session du musée deux ou trois planches tactiles des œuvres emblématiques ». C'est notamment le cas au palais Borghèse de Rome. Forza l'accessibilità !

© Emmanuelle Dal'Secco

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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