Par Florence Panoussian
Considérée comme la "capitale des sourds", Toulouse est l'une des rares villes de France à leur proposer scolarité bilingue complète, formation universitaire au théâtre, librairies et même un festival, Sign'ô, avec sa Deaf Party pour danser tard dans la nuit...
Les comédiens de Skam aux manettes
"C'est un moment très fort. Enfin on se retrouve dans notre langue des signes et ça fait du bien !", se réjouit Juliette Van Tornhout, éducatrice spécialisée de 28 ans. En robe verte à paillettes et baskets, la jeune femme danse devant la scène, sous les lumières changeantes des spots. La musique fait vibrer la salle. Le public applaudit -silencieusement, en agitant haut les mains- la performance d'artistes chéris des malentendants, tels Presilia Kette et VinzSlam, qui signe d'un rythme endiablé le rap d'Eminem ou Bigflo & Oli. La Deaf Party, organisée au Phare, salle de concert à Tournefeuille, banlieue de Toulouse, est animée par Winona Guyon et Lucas Wild, comédiens de la série Skam France (article en lien ci-dessous). Cette "soirée sourde" est le clou de Sign'ô, une première pour ce festival d'arts visuels, créé en 2007 par la compagnie ACT'S (Art, culture et théâtre en signes) et qui renaît après six ans de suspension, due à manque de moyens et à la crise du Covid.
Spectacles, concerts, ateliers
Durant tout un weekend, plus d'un millier de personnes, selon les organisateurs, se sont ainsi retrouvées du 16 au 18 septembre 2022. Sous une allée de platanes au cœur de la ville, stands d'artisans, scène accueillant percussionnistes, humoristes et conférences, spectacles dans les théâtres alentour... toute l'ambiance d'un festival est là. Sauf le brouhaha des voix : autour des tables, les conversations vont bon train, en signes, traduites si besoin par des bénévoles maîtrisant cette langue, comme quelque 300 000 personnes en France. "On est contents de ce bain avec tous les sourds. Chez nous, il n'y pas assez d'associations, en théâtre il n'y a rien. Alors on se déplace quand il y a des événements comme ça", signe pour l'AFP Sophie Bottagisi, 37 ans, venue de Nice avec famille et amis. Sa fille Stella, 10 ans, quatrième génération de sourds, a adoré les "mouvements avec les pieds", appris lors d'un atelier de hip-hop animé par Agathe Grelaud. La danseuse montre comment mouvoir les articulations une à une, puis donne le top départ des enchaînements aux enfants, en signant d'une tape sur sa tête.
Des classes bilingues prisées
Victoria Bubnova, 9 ans, connaît déjà la technique. La musique "passe par le corps, comme quand on me touche en fait, je ressens les vibrations", explique la fillette, initiée au classique à 3 ans, puis l'an dernier au hip-hop. "J'aime bien ! C'est comme les garçons : on bouge, on fait des grands pas." Avec l'équitation, la natation et la peinture, le hip-hop est l'une des activités proposées aux élèves de Jean-Jaurès, établissement bilingue en langue des signes à Ramonville-Saint-Agne, autre commune limitrophe de Toulouse, où Victoria est scolarisée. "Nous sommes venus ici pour les classes bilingues", précise sa mère Irina Pavlyuk, 36 ans, professeure de yoga russe arrivée en France il y a quinze ans avec son mari, danseur. "On dit que Toulouse est la capitale des sourds parce qu'il y a énormément de choses : une scolarité avec une filière 100 % bilingue jusqu'au bac, qui n'existe pas ailleurs en France (...), des associations, des activités", ajoute Marylène Charrière, présidente d'ACT's et du comité d'organisation de Sign'ô.
Un évènement fédérateur
D'autres festivals destinés aux sourds existent, tel Clin d'œil à Reims, mais pas dans le sud. "Des gens sont venus de Paris, Bordeaux, Lyon pour se retrouver ici", se félicite la présidente, aussi réalisatrice de l'émission L'œil et la main, sur France 5. Les six spectacles organisés dans deux théâtres de 200 et 400 places affichaient quasi complet. Et le samedi en fin de soirée, la fièvre s'est emparée de la Deaf Party, les danseurs enchaînant une longue farandole autour de la salle. "L'accueil est dans notre langue. On partage une même culture, une même identité. Quand on se retrouve, on peut se lâcher !", rit Marylène Charrière, déterminée à préparer le prochain Sign'ô pour 2024.