Les travailleurs d'Esat (établissements et services d'aide par le travail) pourraient-ils être privés des œuvres sociales du comité d'entreprise, c'est à dire de chèques cadeaux, vacances ou de Noël et autres avantages proposés à la plupart des salariés pour améliorer leur quotidien ? C'est possible au regard de la loi qui « alourdit » leur attribution. L'Asei, association qui regroupe 107 établissements médico-sociaux en France, a décidé de leur octroyer ces avantages, en considérant que cela devait suivre un régime social identique à celui des salariés, mais elle doit, pour cela, payer le prix fort. En effet, l'Urssaf estime que ces « privilèges » sont assimilés à un complément de « revenus » et doivent donc être assujettis au paiement de charges sociales, ce qui n'est pas le cas pour les autres salariés.
Un statut à part
Pourquoi deux poids deux mesures ? Parce que les travailleurs d'Esat, qui sont liés par un contrat de soutien et d'aide par le travail, relevant du code de l'action sociale et des familles, ont un statut à part, celui « d'usagers », et ne peuvent donc être assimilés à des « salariés » stricto sensu, dépendant du code du travail ; par voie de conséquence, ils n'ont pas des droits tout à fait identiques. Ils peuvent, bien sûr, bénéficier des œuvre sociales du comité d'entreprise mais à condition que leur employeur s'acquitte de cotisations sociales sur les sommes concernées.
Un complémentaire trop favorable
Un autre point de litige concerne la « complémentaire de protection » : l'association a souscrit une prévoyance « plus favorable » en faveur de ses travailleurs « fragiles », or, pour être « conforme à la réglementation en vigueur depuis 2014 », ils « devaient bénéficier de garanties identiques à celles de l'ensemble des salariés ». De fait, les « contributions finançant leur prévoyance complémentaire » ne peuvent pas bénéficier de l'exonération de charges prévue par la loi. Est-ce parce que l'Etat s'engage déjà financièrement pour soutenir ce type de poste qu'il ne permet pas d'être « gagnant » sur tous les tableaux ? L'Asei a ainsi fait l'objet d'un redressement « conséquent » sur ces deux points, « qui a été payé », précise Maître Nadjar, son avocate. Les recours gracieux auprès de l'Urssaf n'ayant pas abouti, l'association décide de saisir la justice, avec la volonté de « faire bouger les lignes ».
Un recours fondé sur le droit européen
En vain ! Le 24 juin 2019, le tribunal de grande instance de Toulouse confirme la décision de l'Urssaf. L'Asei ne renonce pas et fait appel. « Notre recours est fondé sur le droit européen car la Cour de justice de l'Union considère que les travailleurs d'Esat ont la qualité de travailleurs au sens de la réglementation européenne, sans qu'il soit nécessaire de s'intéresser à leur productivité. Ils pourraient ainsi être éligibles à ce type d'avantages », explique Maître Nadjar. L'affaire n'est pourtant pas gagnée. « En principe, le droit européen devrait prévaloir mais il arrive souvent que cette argumentation ne prospère pas, poursuit-elle. Dans son jugement, le tribunal de grande instance n'y a même pas répondu. Et le droit français reste très ambivalent ; les travailleurs d'Esat ont certains droits identiques aux salariés mais pas tous. » D'autres associations ont-elles déjà accordé avec succès ce type de « privilèges » ? « Dans la jurisprudence française, nous n'avons pas trouvé de cas similaire exploitable », répond Maître Nadjar.
Vers une société inclusive ?
« Ce ne sont pas des sommes délirantes mais, outre le fait qu'elles ne sont pas financées dans les budgets, le débat est plus vaste et porte sur l'amélioration de la situation des personnes en Esat, ajoute l'avocate. Je comprends la décision de l'Urssaf qui applique la réglementation mais celle du tribunal me choque ». « Reconnaître les droits des personnes accompagnées passe aussi par l'amélioration de leur pouvoir d'achat », ajoute Philippe Jourdy, directeur général de l'Asei. Il déplore « une contradiction entre la volonté des associations d'aller vers des solutions les plus inclusives pour ces personnes et une réglementation pénalisante pour elles ». Verdict fin novembre 2020, date de la prochaine audience.
La prime Macron pour les travailleurs d'Esat
Un autre point sur lequel l'association n'aura plus à se battre, c'est le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat exonérée. Celle qu'on appelle également « prime Macron », consentie en urgence en 2019 pour « calmer » les Gilets jaunes et versée sous conditions de revenus, est reconduite en 2020. La nouveauté, comme le prévoit l'article 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, c'est qu'elle est désormais ouverte aux travailleurs handicapés accueillis en Esat. Cette avancée a été permise par les négociations menées par la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs). L'Asei compte bien en faire bénéficier ses travailleurs en 2020 ; reste à définir, en interne, les modalités et le montant de cette prime. Elle espère que « d'autres associations vont s'inscrire dans cette lignée ».