Troubles de santé mentale : nos animaux aussi sont concernés

Anxiété, dépression, bipolarité... Nos animaux de compagnie peuvent aussi être confrontés à des troubles de santé mentale. Handicap psychique ou environnement inadapté ? Deux vétérinaires livrent leur vision et donnent des clés pour les soulager.

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Chien blanc, avec un regard inquiet, en train de se faire caresser.

Nos animaux de compagnie sont-ils, eux aussi, sujets à la dépression, la bipolarité ? Vous donnez votre langue au chat ? Longtemps, ces questions auraient prêté à sourire. Aujourd'hui, elles bousculent les cliniques vétérinaires et interrogent notre rapport à l'animal. Comme chez l'humain, certains compagnons à quatre pattes présentent des troubles de santé mentale si profonds qu'ils en deviennent invalidants. Et si derrière un chien agressif ou un chat apathique se cachait une véritable souffrance psychique ?

Pour Jasmine Chevallier, consultante en médecine du comportement (psychiatrie vétérinaire), la réponse ne fait aucun doute : « Ces troubles existent, même s'ils ne rentrent pas dans des cases aussi strictes que chez l'Homme. » Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste et président de l'association AVA (Agir pour la vie animale), lui, ne « croit pas aux maladies mentales chez les animaux ». « Ce que nous appelons 'troubles du comportement' sont souvent des cris de détresse face à une vie qui ne leur convient pas », estime-t-il. Deux regards, deux écoles, un même objectif : comprendre pour mieux soulager.

Grandir sans repères : le syndrome de privation sensorielle

Dans son cabinet, Jasmine Chevallier voit défiler des chiens et des chats « en détresse, qui ont perdu la capacité de fonctionner 'normalement' ». Certains comportements, explique-t-elle, ne relèvent pas simplement d'un problème d'éducation : ils découlent d'un défaut de socialisation ou un manque d'expériences précoces, qui perturbe durablement la façon dont l'animal perçoit son environnement.

Le plus fréquent ? Le syndrome de privation sensorielle. Il apparaît généralement chez des chiots ou des chatons ayant grandi dans un environnement pauvre en stimulations : peu de bruits, d'odeurs, de contacts humains ou d'expériences nouvelles. « Ils n'ont pas appris à affronter un monde riche en stimulations, alors tout devient source d'angoisse : les bruits, les inconnus, les déplacements », précise la vétérinaire. En grandissant, l'animal reste prisonnier de ses peurs : il sursaute au moindre son, panique en promenade, refuse le contact. « S'il ne retrouvera probablement jamais la flexibilité émotionnelle d'un animal normalement socialisé, il peut tout de même progresser grâce à un accompagnement adapté et de la patience », ajoute-t-elle.

Dépression animale : des signes souvent méconnus

D'autres pathologies sont liées à une altération du système nerveux et émotionnel d'origine interne. La dépression, bien que rare chez l'animal, existe bel et bien. Elle peut être aiguë, lorsqu'elle survient après un événement brutal ou traumatique – séparation, deuil, abandon – ou chronique, quand elle s'installe dans la durée. Les signes passent souvent inaperçus : sommeil excessif, refus de jouer, repli, troubles alimentaires. « Chez le chat, elle prend parfois des formes déroutantes : isolement, léchage compulsif, refus de contact. Chez le chien, on observe plutôt une atonie comportementale, une baisse d'élan vital, comme une fatigue de vivre, explique la vétérinaire. Ces animaux ne montrent plus de curiosité ni d'envie. Ils semblent vivre au ralenti, détachés de tout. » 

Les troubles de l'humeur ou bipolarité animale

Les troubles de l'humeur, eux, se rapprochent davantage de la bipolarité, « même si chez les animaux il s'agit davantage de troubles 'unipolaires' ». « Certains chiens, notamment certaines lignées de cockers, alternent périodes d'apaisement et crises d'agressivité incontrôlées, observe Jasmine Chevallier. Ce sont des réactions explosives, souvent sans cause identifiable, suivies d'un retour au calme comme si de rien n'était. » Ces épisodes traduisent une instabilité émotionnelle durable, liée à un dérèglement du contrôle des impulsions.

Des chiens hyperactifs, toujours en alerte

Quant au syndrome hypersensibilité-hyperactivité (HS-HA), il s'apparente au TDAH (Trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) chez l'humain. « Ces chiens réagissent à tout, tout le temps. Ils manquent de filtre sensoriel, sont impulsifs et ne savent pas s'arrêter. », décrit la comportementaliste. Toujours en alerte, ils dorment peu, s'épuisent sans parvenir à se calmer. Pour Jasmine Chevallier, « un animal hyperactif n'a pas forcément besoin de se défouler davantage ni de faire des promenades de cinq heures, mais d'apprendre à s'apaiser. Il faut travailler les autocontrôles, la patience, la concentration ».

Des troubles rares : aux frontières de la schizophrénie

Certains présentent des troubles plus rares, comparables à une forme de schizophrénie chez l'humain. « On parle alors de syndrome dissociatif », précise-t-elle. « Des chiens peuvent par exemple rester figés longuement devant un mur, se mordre la patte sans raison apparente, ou réagir à des stimuli inexistants. » Des comportements sans lien avec la réalité, qui traduisent une rupture dans la perception du monde.

Une approche globale du soin

Quel que soit le trouble, la vétérinaire prône une approche globale qui associe un traitement médicamenteux (antidépresseurs et/ou anxiolytiques) et une thérapie comportementale. « Les psychotropes ne visent pas à guérir mais à offrir un répit nécessaire à la rééducation, précise-t-elle. Ensuite, on guide les propriétaires sur la communication, la gestion du quotidien, les exercices adaptés. » Pour des chiens âgés dépressifs, il s'agira par exemple de jeux d'odorat, de recherche ou d'attention. Le travail repose sur la reconstruction de la motivation : lui redonner envie d'interagir, le stimuler sans le brusquer, recréer de petits plaisirs quotidiens, liste la comportementaliste. « L'objectif n'est pas de le changer mais de l'aider à vivre mieux avec son trouble. » Pour ceux ayant des troubles de l'humeur, la priorité est la régularité : maintenir des routines stables, éviter les changements brutaux, sécuriser leur environnement. 

Culpabilité des maîtres : un réflexe contre-productif

La vétérinaire met en garde contre les jugements hâtifs : « Un cadre éducatif laxiste ne suffit pas à expliquer des troubles profonds. » Elle se souvient d'un chien impulsif, traité des années durant pour son « manque d'éducation car ses propriétaires le considéraient comme leur bébé et dormaient avec lui ». « En réalité, il souffrait d'un trouble de l'humeur, certes aggravé par une éducation inadaptée, mais qui était déjà présent », indique-t-elle. Pour Jasmine Chevallier, accuser les maîtres est une impasse, extrêmement culpabilisante de surcroît.

Une incompatibilité entre l'animal et son mode de vie

D'autres vétérinaires, issus par exemple de la tradition éthologique, défendent une approche radicalement différente. C'est le cas de Thierry Bedossa, pour qui ces troubles naissent d'un déséquilibre environnemental. « Les chiens de race, comme les Malinois ou les Bergers australiens, ont été sélectionnés pour travailler du matin au soir. Enfermés dans un appartement, ils développent forcément des troubles du comportement », estime-t-il.

Observer avant d'agir

Avant toute prise en charge, Thierry Bedossa commence par observer : le mode de vie de l'animal, la composition du foyer, le temps de solitude, la qualité des interactions, les frustrations accumulées. « Un chien qui détruit ou un chat qui urine partout n'est pas 'mal élevé', il communique un déséquilibre », souligne-t-il. Ainsi, ces comportements ne sont pas des provocations mais des signaux d'inconfort. « Dans neuf cas sur dix, ce que l'on interprète comme un trouble psychique est en réalité une réaction à une situation intenable », considère-t-il. Son rôle est d'aider les propriétaires à identifier les besoins non satisfaits : liberté de mouvement, activité physique, contact social ou stimulation mentale.

Adapter l'environnement, pas l'animal

Pour lui, l'essentiel est d'adapter le quotidien à l'animal, et non l'inverse : « Ce qu'il supporte, on le maintient. Ce qu'il ne supporte pas, on l'évite. » Un chat adopté après une vie dans la rue, qui miaule toutes les nuits ? « Certains vétérinaires prescriraient des antidépresseurs. Je préfère recommander des ajustements : des balles distributrices, une roue d'exercice ou même un accès à l'extérieur, confie le spécialiste. Il a besoin d'espace, de jeux, de stimulations. » Selon lui, « les antidépresseurs altèrent la cognition. L'animal n'est plus tout à fait lui-même : son comportement s'uniformise, son tempérament s'éteint ».

Cette approche « trop médicale », selon lui, fait passer à côté de l'essentiel : comprendre avant de corriger. Par exemple, « un chien venu de La Réunion, issu de générations de chiens libres, ne pourra jamais vivre sereinement enfermé dans un deux-pièces parisien », livre le vétérinaire. « Nos animaux souffrent parce qu'on leur impose nos vies », résume-t-il.

Prendre en considération la santé mentale des bêtes

Faut-il médicaliser l'animal ou revoir notre façon de vivre avec lui ? Le débat reste ouvert. Pour Jasmine Chevallier, refuser de parler de handicap psychique, c'est nier la souffrance animale. Pour Thierry Bedossa, au contraire, c'est la « psychiatriser inutilement ». Mais tous deux s'accordent sur un point : nos compagnons ne sont pas des peluches animées mais des êtres sensibles, capables de stress, de tristesse, d'anxiété. Leur santé mentale mérite également d'être prise au sérieux.

© RomeoLu de Getty Images / Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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