213 000. C'est le nombre de femmes victimes de violences conjugales chaque année en France. Ce fléau est responsable d'affections aigües et chroniques, invalidantes, voire mortelles. Certaines courent un risque plus important d'y être confrontées. 80 % de celles en situation de handicap en ont déjà subies, de la part de proches mais aussi de professionnels censés les accompagner. Dès lors, en cas de violence, à qui faire confiance ? Et vers qui se tourner pour être entendue, soignée et épaulée afin d'obtenir justice ?
De nouvelles Maisons des femmes
Plusieurs enquêtes indiquent que les victimes de violences se sentent isolées, désarmées et particulièrement impuissantes face aux démarches à accomplir tout au long de ce fastidieux parcours. En plus des évènements traumatisants, elles doivent faire face à des difficultés pour recourir à leurs droits, a fortiori celles en situation de handicap, notamment auditif. Le nombre de femmes sourdes murées dans le silence en raison de l'absence d'interprète à l'hôpital ou au commissariat est alarmant. Le dispositif Maisons des femmes, qui commence à essaimer dans toute la France, entend répondre à cette « absolue nécessité de mieux prendre en charge les victimes de violences pour mieux les accompagner et les protéger », sur les plans médical, social et juridique...
Un suivi global, personnalisé et adapté
Pour ce faire, ce type de structure de soins, rattaché à un hôpital, fait en sorte de réunir, sur un même lieu, la plupart des acteurs dédiés : médecins, infirmières et aides-soignantes, sages-femmes, psychologues, psychiatres, pédiatres, kiné, ostéopathes, chirurgiens, sexologue, médecin légiste, conseillère conjugale et familiale, mais aussi, parfois, des avocats, juristes, policiers... Objectif ? Un suivi global, continu et individualisé qui rassure et limite la déperdition d'informations. Autre ambition ? La question du repérage est primordiale. « Les professionnels de santé ne bénéficient pas toujours d'une formation suffisante, tant pour la détection des signaux, même faibles, que pour le suivi des femmes victimes de violences », constate par exemple l'AP-HP (Hôpitaux de Paris), impliqué dans ce type de projet. La prise en charge « se 'limite' parfois au seul volet médical immédiat, dissocié de l'ensemble des besoins de ces patientes », poursuit le groupe hospitalier parisien. Autre constat : la santé mentale des femmes victimes de violences est insuffisamment prise en compte. « Il est donc essentiel de renforcer les dispositifs d'accompagnement dédiés afin que la dimension psychologique soit envisagée de manière immédiate et dans la durée pour toutes les victimes », incite-t-il.
Depuis 2016, en France… et ailleurs
Depuis l'inauguration en 2016 de la première Maison des femmes à Saint-Denis, en région parisienne, d'autres « refuges » similaires ont fleuri aux quatre coins de la France (Bordeaux, Brive-la-Gaillarde, Marseille, Reims, Rennes, Versailles...) et au-delà (Bruxelles, Mexico). Les violences étant particulièrement accrues en Ile-de-France, l'AP-HP a, pour sa part, ouvert trois Maisons au sein des hôpitaux Bichat-Claude-Bernard (18e), Pitié-Salpêtrière (13e) et Hôtel-Dieu (4e). Une quatrième structure devrait voir le jour à l'hôpital Bicêtre (Val-de-Marne) « en mai ou juin 2023 ». Pour autant, ces lieux sont-ils accessibles aux femmes en situation de handicap ? Handicap.fr a posé la question à Wided Halaoua, directrice de projet des Maisons des femmes de l'AP-HP.
Handicap.fr : Quel accompagnement proposez-vous aux femmes en situation de handicap ?
Wided Halaoua : L'hôpital de la Pitié-Salpêtrière est référent sur le sujet du handicap. Son service de gynécologie-obstétrique propose un parcours de soin spécifique, qui est étendu à la Maison des femmes (MDF), située juste en face. Le service de gynéco propose des chambres adaptées pour accueillir ces femmes en cas de besoin puisque la MDF ne dispose que de salles de consultations. Une convention a également été établie avec le service d'accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap. Il existe par ailleurs un parcours dédié aux femmes sourdes, avec une auxiliaire de puériculture sourde et une sage-femme qui pratiquent la Langue des signes française (LSF).
H.fr : Peuvent-elles se présenter spontanément, sans rendez-vous ?
WH : Le mieux est d'appeler ou d'envoyer un mail en amont ( maisondesfemmes.pitiesalpetriere@aphp.fr ) pour obtenir un accueil personnalisé. L'échéance des rendez-vous est établie en fonction du degré d'urgence de chaque situation. A la suite d'un entretien d'accueil, les femmes pourront, selon leurs besoins, bénéficier de consultations médicales, d'un soutien psychologique, d'une aide juridique et judiciaire, avec la possibilité de porter plainte sur place, d'un accompagnement social, d'activités collectives (par exemple des groupes de parole et ateliers socio-esthétiques, estime de soi, lien social...).
H.fr : Les trois sites existants de l'AP-HP sont-ils accessibles aux personnes à mobilité réduite ?
WH : Bichat et la Pitié-Salpêtrière le sont. C'est plus compliqué pour le bâtiment de l'Hôtel-Dieu, en face de la cathédrale Notre-Dame, qui est très ancien. La MDF est au 4e étage avec ascenseur mais, pour y accéder, il faut au préalable monter plusieurs escaliers…
H.fr : Le personnel est-il formé à l'accueil des femmes avec des troubles psychiques ou mentaux ?
WH : Chaque site dispose d'un temps de psychologue et de psychiatre pour apporter un soutien aux femmes lorsque c'est nécessaire. La Maison des femmes de l'Hôtel-Dieu, portée par le service de psychiatrie, va plus loin en proposant un parcours de soins renforcé en santé mentale, afin d'accompagner celles ayant des pathologies psychiatriques lourdes, encadré par des psychologues, psychiatres et autres experts. Cet accompagnement est essentiel sachant que la prévalence des femmes avec des troubles psychiques victimes de violences est considérable et, qu'à l'inverse, ces violences peuvent également entraîner des troubles psychiques. Ainsi, toutes celles qui se présentent se voient proposer une évaluation/un premier rendez-vous psychologique et psychiatrique, qu'elles acceptent pratiquement toutes, avant la mise en place du parcours de soins personnalisé.
H.fr : Quelles sont les spécificités des autres Maisons ?
WH : L'Hôtel-Dieu bénéficie également de la présence de l'unité médico-judiciaire qui a permis la mise en place du recueil de preuves sans plaintes pour les femmes victimes de violences sexuelles. Outre une expertise sur le handicap, la Pitié-Salpêtrière dispose d'un centre de santé sexuelle-planning familial. Enfin, la Maison de l'hôpital Bichat est spécialisée dans les violences conjugales et fournit un gros travail de sensibilisation et de formation auprès de toutes les maternités de son DMU (département médico-universitaire).
H.fr : Du fait de l'inaccessibilité des structures de prise en charge des violences, de nombreuses femmes en situation de handicap jettent l'éponge et n'obtiennent pas un accompagnement adapté. Pensez-vous que ces structures innovantes pourront changer la donne ?
WH : Je l'espère... L'idée de notre dispositif est de toucher des femmes qui ne sont peut-être pas inscrites dans d'autres parcours d'accompagnement et rentrent par exemple par la porte des urgences, de la gynécologie, de la psychiatrie ou n'importe quel autre service de l'AP-HP. Un important travail est fait par les équipes des Maisons des femmes pour sensibiliser les médecins, internes, sages-femmes et autres personnels à la question des violences pour qu'ils sachent repérer et orienter les patientes concernées. L'objectif, à terme, est que tous nos professionnels adoptent ce réflexe.
H.fr : Envisagez-vous d'ouvrir d'autres Maisons ?
WH : L'Agence régionale de santé (ARS) finance un dispositif par département -ou un peu plus selon les territoires- soit, actuellement, un total de dix en Ile-de-France. Pour l'heure, l'AP-HP porte deux dispositifs, l'un à Paris composé des trois sites déjà mentionnés, et l'autre qui ouvrira bientôt dans le Val-de-Marne, avec une antenne à Bicêtre et à plus long terme, une autre au sein de l'hôpital Antoine-Béclère (Hauts-de-Seine).
Il existe également des Maisons des femmes associatives, qui ne sont ni financées par l'ARS ni rattachées à un hôpital, à l'image de celle de Paris, qui organise des groupes de parole, des ateliers de self-défense, d'insertion en emploi... Cette structure propose notamment une permanence hebdomadaire d'écoute pour les femmes en LSF. C'est une superbe initiative car cela complète l'offre territoriale mais ce ne sont pas des dispositifs de soin.