24 août 2013. Altercation entre Aïda et son compagnon. Alertés par les cris, les policiers escortent la jeune femme de 26 ans à la gare du Mans. Faute de train pour aller dans sa famille à Alençon, de place en hébergement d'urgence, elle finit par retourner chez son bourreau. Quelques heures plus tard, la police la retrouve au pied de son immeuble. Elle a été défenestrée du deuxième étage par son conjoint-agresseur. Quand elle ouvre les yeux, ses jambes ne répondent plus. Le rapport du médecin est sans appel : paraplégie de niveau T10. Alors que le funeste décompte des féminicides marque un peu plus chaque jour les esprits, il masque l'autre partie immergée de l'iceberg : toutes les victimes vivantes, mais à quel prix ?
Une mort à petit feu
L'Observatoire national des violences faites aux femmes estime que plus de 200 000 d'entre elles subissent chaque année les violences de leur conjoint, avec, pour la plupart, des séquelles autant physiques que psychologiques. En France, et ailleurs... C'est le cas de Fatima Gossa, une femme d'origine algérienne vivant au Québec. Elle aussi est tombée sous les coups de son conjoint en 2011, apprend-on du média canadien « La Presse ». Plongée dans un coma végétatif, elle se réveille paralysée et dans l'impossibilité de parler, avec de gros troubles visuels et auditifs. Fatima a préféré se laisser mourir de faim et de soif puisqu'elle ne répondait pas aux critères de l'aide médicale québécoise à mourir.
Lésions cérébrales, traumatismes, ecchymoses…
Aline Peugeot n'est plus tout à fait la même après avoir été « frappée toujours du même côté, avec des plaies qui ne se résorbaient plus ». Elle souffre aujourd'hui d'une lésion d'un nerf facial et de multiples traumatismes osseux, affaissant et dénaturant le côté gauche de son visage, « avec perte de visibilité sur les côtés, sans compter les douleurs associées ». Pourtant, la « Sécurité sociale refuse de financer les soins », se désole-t-elle, considérant qu'il s'agit simplement d'un problème « esthétique ». « Je ne parle pas d'esthétisme, je parle de handicap dû à des séquelles », s'insurge-t-elle. Afin de militer en faveur du remboursement par l'Assurance maladie des réparations médicales ainsi que de la prise en charge des différents besoins de réparations tant psychologiques que physiques, elle a créé une association qui porte son nom.
Ecchymoses et zébrures, lacérations et abrasions, traumatismes à l'abdomen ou au thorax, fractures et os ou dents cassés, atteintes visuelles et auditives, lésions cérébrales, marques de tentative d'étranglement et blessures au dos et au cou sont parmi les plus courantes. D'après Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, 45 % des femmes victimes de violences ont subi des blessures physiques, dont 10 % ont déclaré avoir souffert de lésions internes et subi une fausse-couche.
Le trauma psychique
« Si le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent également le handicap. L'impact psycho-traumatique qui en résulte reste souvent méconnu par les professionnels et donc non pris en charge de manière adaptée, entraînant alors l'abandon et l'isolement », explique Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (article en lien ci-dessous). Les « blessures » causées par des violences ne se traduisent en effet pas nécessairement par un handicap physique apparent et peuvent aussi prendre la forme d'un traumatisme psychologique important et très invalidant. Une étude « multi-pays » réalisée par l'OMS (La violence exercée par un partenaire intime) en 2012 a montré que les femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles étaient quatre fois plus susceptibles de tenter de se suicider que les autres. Elles souffrent également plus d'anxiété, de dépression, d'angoisse, de troubles de l'attention, de fatigue intense et de phobies. La chercheuse américaine Jacquelyn Campbell en vient même à admettre que « la plus grande partie de la différence entre l'incidence globale de la dépression chez les hommes et les femmes pourrait être attribuée à la violence conjugale, bien que cette hypothèse n'ait jamais été étudiée ».
D'autres troubles fonctionnels
Le sommeil (cauchemars) et l'alimentation (pertes d'appétit, boulimie, anorexie) peuvent s'en trouver affectés. De même, les affections gynécologiques (vaginites, douleurs pelviennes chroniques, infections urinaires à répétition…) sont surreprésentées. Des « troubles fonctionnels », comme le syndrome du côlon irritable, la fibromyalgie et divers syndromes de douleur chronique, a priori associés au stress, peuvent être le résultat de maltraitances. La consommation de drogues, d'alcool et/ou de médicaments peut également augmenter. On parle alors de mécanisme « psychotraumatique ». Sans prise en charge médicale, il peut être dévastateur à court, moyen ou long terme. « Pour cela, si une personne va fréquemment chez le médecin, ce dernier doit lui poser la question suivante : « Avez-vous subi des violences ? » », alerte Muriel Salmona.
Un portail d'infos inédit en 16 langues
Repérer les violences domestiques n'est pas toujours simple pour les professionnels de santé. En prendre conscience pour les victimes, non plus. L'association Women for Women France a lancé le 30 juin 2022 un portail d'information multilingue (lien ci-dessous) qui leur est destiné, quelle que soit leur langue (16 au total) et leur nationalité. Inédit dans sa conception, il contient 90 guides pratiques. Il permet d'identifier la nature des violences subies, leur fréquence, leurs conséquences physiques, psychologiques, sociales et sur les enfants également. Surtout, il offre une mise en relation directe avec les forces de l'ordre et liste l'ensemble des services d'aide dédiés : le numéro gratuit 3919, les coordonnées du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ou encore un annuaire des services d'aide par région. « Il s'agit d'une première mondiale qui permettra de parvenir à un niveau d'information jusqu'ici jamais encore atteint dans ce domaine », assurent ses concepteurs.