Par Emilie Bertin, doctorante en droit
La loi du 23 mars 2019 a abrogé l'article L5 du Code électoral qui permettait au juge de priver un majeur en tutelle de son droit de vote (article en lien ci-dessous). Désormais, tous peuvent voter, sans évaluation de leur capacité électorale. Cette pratique discriminatoire était contraire aux droits garantis par l'article 29 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH) de l'ONU. Or la reconnaissance du droit de vote aux majeurs en tutelle ne suffit pas à garantir le respect de leurs droits.
Les difficultés d'accès à la procédure électorale
Selon l'article 29 a) i) de la CIDPH, la France doit veiller à ce que le processus électoral soit accessible à toutes les personnes handicapées, y compris avant, pendant et après les élections.
Selon l'INSEE, 1 364 majeurs en tutelle ont pu s'inscrire sur les listes avant les élections européennes de 2019 sur une population de plus de 300 000 personnes. Ces statistiques interrogent les possibilités d'accès des majeurs en tutelle à la procédure électorale et son adaptation à leur situation (état de santé, dépendance administrative, sociale, etc.). Pourtant, à titre de comparaison, le législateur a envisagé des facilités pour permettre l'inscription des personnes détenues sur les listes électorales, en prévoyant qu'elle sera systématiquement effectuée lors de leur entrée en établissement pénitentiaire. Rien de tel concernant les majeurs en tutelle entrant en institution !
L'impossibilité de recourir à l'assistance d'une personne librement choisie
En vertu de l'article 29 a) i) et iii) de la CIDPH, la France doit garantir la libre expression de la volonté des personnes handicapées en tant qu'électeurs et, à cette fin, si nécessaire, à leur demande, les autorise à se faire assister d'une personne de leur choix pour voter. Cet article interdit par ailleurs la mise en place d'une législation et d'une pratique qui peuvent donner lieu à des facteurs de discrimination en fonction du type de handicap.
Or l'article L64 alinéa 1 du Code électoral exclut de cette assistance, concernant spécialement les majeurs en tutelle, les professionnels, volontaires ou bénévoles les accompagnant au quotidien. Cette interdiction est identique à celle qui encadre les règles de la procuration électorale. Cet article est donc doublement contraire aux droits garantis par la CIDPH.
Le non-respect du droit de voter à bulletin secret
Le droit de voter à bulletin secret, sans avoir à révéler ses intentions de vote à qui que ce soit, garanti par l'article 29 a) i) et ii) de la CIDPH n'est pas assuré aux majeurs en tutelle. Le vote par procuration ouvert, sous conditions, aux majeurs en tutelle, méconnaît par nature ce droit (a). Le législateur n'ayant pas permis aux majeurs en tutelle de voter par correspondance (b), le droit de voter à bulletin secret n'est finalement garanti qu'aux majeurs en tutelle n'ayant pas besoin d'être assistés pour voter.
a) Le recours au vote par procuration
Le vote par procuration est une modalité de vote permettant à un électeur (le mandant) de choisir un autre électeur pour voter à sa place (le mandataire). Unique solution de remplacement au vote à l'urne accordée aux majeurs en tutelle, le vote par procuration est contraire au droit de voter à bulletin secret et en toute indépendance sans devoir révéler à qui que ce soit ses choix politiques, fondé sur l'article 29 a) i) et ii) de la CIDPH.
Une autre critique peut être portée contre le droit français. Selon l'article 29 a) i) de la CIDPH, la France est tenue d'adapter sa procédure électorale en vigueur, en veillant à ce qu'elle soit appropriée, accessible et facile à comprendre et à utiliser. Or l'établissement d'une procuration implique la comparution personnelle du mandant, même lorsqu'il s'agit d'un majeur en tutelle (sauf à justifier qu'il souffre de maladies ou d'infirmités graves en vertu de l'article R72-1 IV du Code électoral).
La durée de validité de la procuration interpelle également. L'article R74 alinéa 1 du Code électoral prévoit que « la validité de la procuration est limitée à un seul scrutin. Toutefois, à la demande du mandant, la procuration peut être établie pour une durée maximale d'un an à compter de sa date d'établissement ». Là encore, le législateur n'a pas facilité aux majeurs en tutelle l'exercice de leur droit de vote puisqu'il n'a pas étendu à leur profit la durée de validité spéciale de trois ans organisée en faveur des Français établis hors de France. Ces règles apparaissent manifestement inadaptées à l'état de santé des majeurs en tutelle ainsi qu'aux conséquences juridiques de la tutelle.
b) L'impossibilité de voter par correspondance
En vertu de l'article 29 a) i) et ii) de la CIDPH, les majeurs en tutelle doivent pouvoir recourir à des solutions de remplacement leur permettant de voter sans devoir révéler leurs intentions de vote à une tierce personne. Or le législateur n'a rien prévu pour garantir cette possibilité alors que le vote par correspondance est ouvert aux prisonniers et, pour certains scrutins, aux Français établis hors de France.