Déremboursement des soins à domicile, filière en panique !

200 millions d'euros d'économie affectant 250 produits et prestations dédiés aux soins des patients à leur domicile. Une décision prise cet été, en catimini. La profession dénonce un coup bas et s'inquiète pour ses patients.

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* Fédération des prestataires de santé à domicile

Handicap.fr : Que souhaitez-vous dénoncer ?
Sylvie Proust, administratrice de la Fedepsad* : Le 5 août 2016, le gouvernement, par le biais du Comité économique des produits de santé (CEPS), a profité de la torpeur estivale pour publier une baisse importante, allant pour certains produits jusqu'à 10%, sur le remboursement de 250 produits et prestations nécessaires aux soins à domicile et au traitement de patients chroniques. Une liste de 15 pages ! Soit une baisse globale de 200 millions d'euros par an.

H.fr : Sur quel montant global, et quel budget ?
SP : Trois milliards. Sur celui de l'Assurance maladie.

H.fr : Moins de 10%, y-a-t-il vraiment lieu de s'inquiéter dans un contexte où les économies impactent tous les domaines ?
SP : Il faut savoir que certains produits ont déjà subi une baisse de remboursement en 2016. Ce nouvel épisode suffit donc à compromettre l'avenir de la prise en charge des patients à domicile. Les prestataires de santé de la filière sont, bien-sûr, conscients de la nécessité de faire des économies sur les dépenses de santé et cette profession, plutôt vertueuse, souhaite même y participer activement. Mais il faut que les efforts demandés soient proportionnés, soutenables et ne mettent pas en péril les acteurs en place, la qualité de la prise en charge des patients et les milliers d'emplois concernés sur tout le territoire. Car cette coupe franche ne menace pas seulement les patients ; c'est tout un secteur d'activité, pourtant fortement créateur d'emplois qualifiés et non délocalisables, qui serait ainsi asphyxié.

H.fr : Plus concrètement, cette décision concerne quels types de produits, notamment pour les personnes handicapées ?
SP : Elles sont directement touchées puisqu'elles ont souvent des pathologies associées. Cela peut concerner, à titre d'exemple, l'insuffisance respiratoire (usage de masque pour traiter l'apnée du sommeil), la stomatothérapie (poche), l'incontinence urinaire (sondes urinaires), les risques de dénutrition et d'escarres (complémentation orale), la nutrition artificielle (pompes et nutriments) ou les supports préventifs d'escarres (matelas en mousse et thérapeutiques). Neuf domaines sont ainsi impactés (liste en fin d'interview**).

H.fr : Cette baisse affecte-t-elle aussi les fauteuils roulants ?
SP : Non, heureusement. C'est un dossier « compliqué » ; une réforme est en stand-by depuis 8 ou 9 ans, qui risque de resurgir un jour, mais qui a été, pour le moment, épargnée par cette décision.

H.fr : Quel sera l'impact pour les patients ?
SP : Le prix des produits va diminuer pour répercuter cette baisse et c'est donc la qualité qui en pâtira. Et puis, du côté des services, les patients ne pourront plus disposer du même niveau ni de la même qualité de traitement qu'aujourd'hui à cause d'une diminution des prestations et d'une réduction probable du personnel.

H.fr : Vous intervenez en tant qu'administratrice de la Fedepsad mais vous êtes également sur le terrain. Quel est l'état des lieux de la santé au domicile ?
SP : Oui en effet puisque je suis fondatrice de Présence Médicale devenue Harmonie Médical Service, qui regroupe une soixantaine d'agences en France. Le handicap et la maladie, c'est notre cœur de métier. Plus de 1,5 millions de patients sont pris en charge à domicile. 20 000 salariés des Prestataires de santé à domicile (PSAD) que nous sommes mettent en œuvre les traitements et dispositifs médicaux sur le lieu de vie des patients. Ils sont regroupés au sein de 800 associations et entreprises. Cela concerne également les 22 000 pharmaciens d'officine .Nos collaborateurs, dont certains sont  infirmiers, pharmaciens, diététiciens et techniciens spécialisés, se rendent au domicile pour s'assurer que les protocoles de soins sont bien respectés. C'est donc une vaste filière qui est menacée.

H.fr : Selon vous, cette décision n'a pas de sens dans un contexte où l'on promeut l'hospitalisation ambulatoire ?
SP : Evidemment, elle signe l'arrêt de mort du virage ambulatoire, pourtant porté par notre Gouvernement et souhaité par les Français. Nous sommes tous attachés à la possibilité d'être soignés chez nous, avec nos repères, notre indépendance, notre intimité et nos proches à nos côtés. Il semble absurde que le gouvernement veuille faire des économies sur un secteur qui peut assurer la pérennité de notre système de santé avec un coût jusqu'à 40% inférieur à celui d'une prise en charge en établissement.

H.fr : Vous ne vous y attendiez vraiment pas ?
SP : Non, cette décision a été prise au mépris de toute négociation, que nous pratiquons pourtant depuis plus de 20 ans avec les autorités de tutelle. Nous n'avions jamais été confrontés à un ultimatum de cette nature. Nous avions 30 jours pour répondre, avec une échéance au 5 septembre. Ce procédé est scandaleux sur le fond comme sur la forme.

H.fr : Il ne vous reste que quelques jours, comment comptez-vous contraindre le gouvernement à faire marche-arrière ?
SP : Nous avons mené plusieurs actions médiatiques et politiques pour stopper ce texte. Des communications dans Le Monde, Le Figaro, sur France Info. Nous avons également écrit à tous les sénateurs et députés qui commencent à s'émouvoir de la situation.

H.fr : Vous avez également mis en ligne une pétition (en lien ci-dessous) ?
SP : Oui, pour tenter d'alerter l'opinion publique. Il y a vraiment urgence. Elle a été remise au président de la République, au Premier ministre et à la ministre de la Santé. Nous leur demandons la suspension immédiate de ce projet et l'ouverture sans délai de réelles négociations avec les acteurs concernés. Et pas globale mais produit par produit ! D'autant que nous rentrons dans une période de négociations avec les fabricants et qu'eux aussi sont pris de court. Jusqu'à maintenant, nous avions toujours réussi à maintenir le dialogue malgré les baisses mais, une telle violence, c'est du jamais vu !

**Domaines de produits et prestations impactés : auto-surveillance glycémique, auto-traitement du diabète, apnée du sommeil, prévention d'escarres, nutrition orale, nutrition entérale, stomie, troubles de la continence et chaussures orthopédiques.

© Monkey business/Fotolia

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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