Un mémorial pour le handicap, une 1re en France

F. Hollande inaugure, le 10 décembre 2016, un mémorial en hommage aux victimes malades et handicapées abandonnées durant la 2e guerre mondiale. Pour l'anthropologue Charles Gardou, cette cérémonie est l'aboutissement de trois années de combat.

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À l'occasion de la Journée internationale des droits de l'Homme et du citoyen, le 10 décembre 2016, une cérémonie se tiendra à Paris en hommage aux milliers de personnes fragilisées par la maladie mentale ou le handicap, mortes de dénutrition et gravement négligées dans les lieux qui les accueillaient durant la seconde guerre mondiale. À l'occasion de la cérémonie, qui se tiendra sur l'esplanade des droits de l'Homme au Trocadéro, une dalle sera apposée pour rappeler cette tragédie. Un geste qui répond à l'appel national lancé en 2013 par Charles Gardou, anthropologue, professeur à l'Université Lyon II et auteur d'Une société inclusive, parlons-en ! Il n'y a pas de vie minuscule. Retour sur son parcours.

Handicap.fr : Depuis 2013, vous demandez à ce que ce mémorial soit mis en place. Pourquoi avoir lancé cet appel national ?
Charles Gardou : En France, sous le régime de Vichy, 45 000 personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques français sont mortes par abandon, absence de soin, sous-alimentation et autres maltraitances. Ce projet de mémorial m'habitat depuis de longues années. En 2006, lors d'un entretien avec Sandrine Blanchard pour Le Monde, j'ai fait part de mon interrogation, ou plutôt de mon incompréhension inquiète : pourquoi avons-nous refoulé dans une amnésie collective l'histoire de ces victimes ?

H.fr : Historiquement, il n'y a jamais eu de cérémonie pour leur rendre hommage en France ?
CG : Hormis quelques recherches historiques, accompagnées d'incessantes polémiques, les présidents de la République successifs n'ont jamais posé d'acte pour reconnaître la mémoire des victimes du délaissement, qui ont perdu la vie dans des conditions sanitaires désastreuses, faute de nourriture et de soins. C'est toute une part de la maladie et du handicap, en l'occurrence de ce qu'on dénommait la « folie », qui a été occultée. Cette cérémonie du 10 décembre 2016 est un premier pas pour que notre pays assume son devoir de témoignage, d'humanité, de vérité et de justice pour toutes ces victimes.

H.fr : Vous avez lutté pour que cette plaque soit apposée durant trois ans. Comment avez-vous procédé, jusqu'à la réponse positive du Président de la République ?
CG : Un jour de novembre 2013, à l'Université, j'ai décidé d'envoyer des dizaines de mails à tout mon réseau. Je n'ai reçu que des réponses positives, mais toutes très abstraites. Après ce premier essai « artisanal », je me suis adressé à la plateforme change.org, qui regroupe des pétitions en ligne. Des milliers de signatures ont appuyé ma demande. Par la suite, quelques personnalités ont commencé à s'y intéresser. Il y a eu un tournant lorsque les réalisateurs d'Intouchables, Éric Toledano et Olivier Nakache, se sont joint à Philippe Pozzo di Borgo, qui a inspiré l'histoire du film, pour réaliser un petit film (en lien ci-dessous) de soutien afin d'inviter les citoyens à rejoindre le mouvement. La campagne de signatures s'est prolongée jusqu'à ce que François Hollande réponde favorablement le 11 février 2015, date du 10e anniversaire de la loi 2005 en faveur des personnes handicapées.

H.fr : Ce mémorial témoigne d'une belle avancée et d'une certaine reconnaissance. Aujourd'hui, pouvons-nous considérer notre société comme inclusive ?
CG : Ce concept actuel de société inclusive se diffuse dans un temps aussi obscur que lumineux. Un temps contradictoire qui prône l'égalité mais hiérarchise implicitement les vies, jaugeant leur rentabilité. Toute société en crise tend à négliger les plus vulnérables ou à en faire des bouc-émissaires. Je pense ici aux familles qui ne parviennent plus à concilier leur vie personnelle ou professionnelle et aux exigences inhérentes à leurs responsabilités de surveillance et de soin. Une société est inclusive lorsqu'elle module son fonctionnement, se flexibilise pour offrir un « chez soi pour tous ». Celui-ci doit être assorti d'accommodements et de modalités de suppléance pour garantir l'accessibilité des dispositifs, ressources et services collectifs, notamment les lieux de répit pour les aidants.

H.fr : Justement, les personnes handicapées et leurs familles bénéficient aujourd'hui d'une certaine amélioration en matière de droits…
CG : Oui, mais ces personnes se voient encore trop souvent cantonnées à leurs « besoins particuliers ». Il n'est pas assez pour les humains de naître physiquement et de vivre. Soignés par tous, ils peuvent mourir de n'exister pour personne. Le handicap met en relief ce caractère toujours problématique de l'accès à l'existence, soumise à de nombreux empêchements. Le soin, dans sa dimension thérapeutique et curative, ne suffit pas. Les personnes réclament également la sollicitude qui l'accompagne. En Suède, le service de répit Agrenska de Göteborg illustre cela avec une double considération pour les aidants et les aidés.

H.fr : Qu'apporte-t-il de plus qu'un centre de soins en France ?
CG : À l'opposé d'un hôpital, cette Fondation privée accueille annuellement, sans frais pour les personnes et leurs familles, 170 enfants souffrant de maladies rares, accompagnés par 70 employés auxquels s'ajoutent 120 « saisonniers ». Ce centre de répit inclut différentes ressources susceptibles de favoriser l'autonomie, le bien-être et la santé de ces enfants et des proches qui s'occupent d'eux, tout en reconnaissant leur expertise. Cela illustre un des principes fondateurs d'une société inclusive, qui ne défend pas seulement le droit de vivre mais également celui d'exister.

H.fr : Il y a donc encore beaucoup à faire en matière d'intégration du handicap.
CG : Absolument. Nous vivons aujourd'hui à une époque paradoxale, qui affirme respecter la fragilité mais qui, en même temps, la marginalise. Elle se perd dans des idéaux de puissance et dans la tentation de l'illimité. Selon cette mécanique sociale, la loi d'airain du marché et la compétition sans merci règnent. Je pense par exemple au transhumanisme qui rêve d'un homme zéro-défaut, tant dans ses capacités physiques que mentales, qui ne reconnait plus la maladie, le handicap, le vieillissement et la mort comme immanents à l'humain. Pour « augmenter » l'homme, les transhumanistes parient sur la convergence des nanotechnologies, de la biologie, de l'informatique et des sciences cognitives, pour lesquelles les personnes les plus fragiles risquent de devenir un terrain d'expérimentation…

© Aimée Legoff

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Aimée Le Goff, journaliste Handicap.fr"
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