Médecine : la fabrique du handicap ?

Soigner et guérir mais aussi handicaper et faire survivre. C'est toute l'ambivalence de la médecine contemporaine qui, à force de prouesses et d'intentions louables, peut aussi devenir une machine à produire du handicap.

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La médecine est ambivalente. Elle possède une technique réelle qu'elle peut mettre au service des personnes handicapées par sa capacité réparatrice. Elle s'attèle à tous les handicaps, à tous les stades, prévient et prend en charge. Mais, il y a aussi un revers à cette médaille car, en même temps, elle peut aussi produire du handicap. Anne-Laure Boch, neurochirurgienne intervient sur cette question lors du colloque « Handicap, handicaps : vie normale, vie parfaite, vie handicapée » organisé par le Collège des Bernardins le 30 mars 2012.Une tragédie en quatre actes intitulée « Médecine, mère du handicap » !

L'accident médical : mourir ou vivre handicapé ?


La première cause, c'est l'accident médical. La médecine relève des défis de plus en plus audacieux au point de faire courir des risques croissants à ses patients. Il en résulte parfois des accidents, sans qu'on ne puisse d'ailleurs en imputer la faute à l'acte de soin. Anne-Laure Boch cite le cas d'un patient devenu paraplégique à cause d'un hématome. « Sans la médecine c'était la mort assurée, avec la médecine, c'était le handicap ! ».

Les progrès de la science : la survie des « faibles »


La seconde cause est liée au fait que les progrès de la science permettent aujourd'hui de prolonger la vie de personnes « faibles », par exemple des blessés médullaires (para, hémi ou tétraplégique) qui, pour certains, ne pourraient survivre dans le secours de la médecine. C'est aussi le cas pour les enfants atteints de trisomie 21 (victimes de pathologies associées) ou de mucoviscidose dont l'espérance de vie a considérablement augmenté. Il en va évidemment de même pour les personnes âgées. Longtemps, la cause de la mort fut « exogène », c'est-à-dire provoquée par une raison extérieure à l'individu mais, désormais, elle devient « endogène ». En d'autres termes, on meurt de vieillesse. La proportion de personnes âgées dépendantes ne va cesser de croître à l'avenir. En France, le coût de la dépendance s'élève à 33 milliards d'euros en 2010 ; on l'estime à 60 en 2050 ! « C'est à la médecine moderne que nous devons cette explosion de la dépendance, affirme Anne-Laure Boch. Le progrès global réussit à traiter les petites misères de la vie et est en mesure de la prolonger jusqu'à ce que tout défaille au moment les organes vitaux ne se laissent plus réparer. Finalement, aujourd'hui, on ne meurt même plus vraiment de vieillesse mais de défaillance d'organes ! Et ce n'est que lorsque ça touche le cerveau qu'il n'y a plus grand-chose à faire... »

Maladie aigue deviendra chronique


La troisième raison, c'est la transformation de maladies aigues en chroniques, quitte à vivre dans la dépendance d'une machine, en ayant perdu toute autonomie. « On ne guérit pas davantage le cancer en 2012 qu'en 1972, poursuit-elle ; par contre, la durée de vie avec cette maladie a été considérablement allongée. » En augmentant l'espérance de vie, on a créé des populations de malades chroniques qui viennent parfois alimenter la catégorie de personnes handicapées. Auparavant, on entrait dans ce qu'on appelait la « dernière maladie », c'est-à-dire l'agonie, en quelques semaines. Mais, aujourd'hui, la survie des patients est prolongée parfois durant des années, ce qui explique par ailleurs l'usure des aidants et des familles confrontés à cette situation.

La norme : une déviance pathogène


Enfin, la quatrième cause se nourrit de la tendance normative de la médecine. La stérilité, le surpoids, l'hypertension ne sont pas des handicaps à proprement parler mais, à travers la façon dont la médecine les prend en charge, elles finissent par s'apparenter à des pathologies au long-cours. « On assiste à une tendance « pathogène », c'est-à-dire qui crée de la maladie, explique Anne-Laure Boch. Aux Etats-Unis, trois-quarts des jeunes garçons seraient inaptes au service militaire pour des motifs de surpoids, ou encore de troubles déficitaires de l'attention (TDAH) car la prescription de ritaline, dans ce cas, est incompatible avec le port des armes. »

Le constat est donc le suivant : les personnes que la médecine moderne réanime aujourd'hui lui doivent leur survie, mais peut-être aussi leur déficience ! Le désir de maîtrise n'est pas absent de toutes ces questions, jusqu'à parfois toucher la démesure...

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