Handicap et sélection prénatale : liberté sous contraintes !

Le diagnostic prénatal ne manifesterait-il pas la toute-puissance de l'Homme à l'égard de ses enfants ? Un procédé à manipuler avec précaution qui engendre de grands débats éthiques. Certains y ont échappé ; ils témoignent !

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Professeur de philosophie depuis 25 ans, Danielle Moyse est chercheuse associée à l'Institut de recherches interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS, Paris). Sensible aux questions éthiques, c'est assez naturellement que s'est imposée une collaboration avec la sociologue Nicole Diederich sur les problèmes relatifs à la place que notre monde épris de puissance accorde aux personnes que l'on dit « handicapées ». Ses recherches et les ouvrages qui en sont issus se sont orientés vers la description des possibles résurgences de l'eugénisme à travers la sélection prénatale, motivée, a priori, par des critères de santé. Elle a notamment cherché à savoir comment les femmes et les hommes porteurs d'une infirmité appréhendaient une telle sélection prénatale, et comment les médecins faisaient face au désir souvent affirmé de ne mettre au monde que des enfants « normaux ». Danielle Moyse s'est exprimée lors du colloque organisé en mars 2012 au sein du Collège des Bernardins, à Paris, sur le thème « Handicap, handicaps : Vie normale, vie parfaite, vie handicapée ? ».

Médecins : sauver ou trier ?

Suite à l'arrêt Perruche, en 2000, (qui permettait d'indemniser un enfant du « préjudice » d'être né handicapé), Danielle Moyse entreprend de dresser un état des lieux de l'IVG (Interruption volontaire de grossesse) en France : « Les médecins ont répondu que leur mission n'était pas de trier les embryons mais, premièrement, de sauver la mère et, en second lieu, de sauver le bébé (si son stade de développement est suffisant). Ils affirment en cela le rôle thérapeutique du dépistage prénatal. Pourtant, certains obstétriciens émettent un doute car lorsqu'ils informent une femme du risque encouru, le non-dit, c'est que presque systématiquement, que le fœtus sera éliminé ! »

DPN : les parents face au dilemme

Le diagnostic prénatal (DPN) risque de mettre les futurs parents dans des situations bien complexes. On leur annonce parfois que l'enfant à naître est porteur d'une malformation ou d'une anomalie génétique (comme la trisomie 21) ; il est déjà difficile de prendre une décision réfléchie à l'annonce d'un handicap qui ne met pas en jeu directement la vie de cet enfant mais quelle latitude de choix ont-ils lorsqu'on leur soumet un résultat statistique, un risque de malformation ou de maladie ultérieure dont nul ne sait si elle se développera ou non ? Enfin, comment peut réagir le père dont l'épouse préfère ne pas laisser naître l'enfant qui porte sa maladie à lui ?

La liberté : un lourd fardeau

La liberté d'accepter ou non le DPN est, a priori, librement consentie. On peut néanmoins en douter lorsqu'on sait que le taux d'avortement, par exemple, en cas de trisomie 21, atteint 90, voire 98 %. Comment fixer des limites, quel est le seuil de « tolérance socialement correcte » ? On peut alors légitimement se poser la question suivante : « Et pourquoi pas, bientôt, décider de faire naître un enfant en fonction de son caractère ? ». « La technique, la science, poursuit Danielle Moyse, nous donnent un fardeau qui n'est pas à la mesure de l'Homme. Nous sommes condamnés à une liberté qui nous était jusqu'alors épargnée. Et les perspectives d'une situation difficile ne donnent qu'une envie : l'éviter ! » Faut-il pour autant ne faire naître que les enfants de nos désirs ? Une éradication massive de toutes les différences pourrait-elle rester sans dommage pour notre humanité ?

Diagnostic préimplantatoire : la machine à trier

Avec le diagnostic préimplantatoire, la problématique est autre, mais non moins complexe : il s'agit de trier les embryons implantés afin de ne choisir que ceux qui sont indemnes de la maladie que l'on veut éviter. On ne cherche a priori pas une anomalie sur un embryon pour le soigner mais bien pour l'éliminer. Qu'est-ce qui motive ce tri ? Quelles sont les pathologies acceptées ou refusées ? Ne risque-t-on pas, à terme, de « standardiser » les embryons triés ? Pour Danielle, « N'y a-t-il pas là le signe d'un eugénisme bon teint, caché derrière de bons sentiments ? Ne confond-on pas qualité de vie et sens de la vie ? Or des personnes peuvent avoir une vie difficile et pourtant extrêmement riche de sens. N'est-ce pas un appauvrissement que de l'oublier ? »

Les rescapés ont la parole !

De 1997 à 2001, Danielle Moyse a recueilli le témoignage de personnes handicapées sur ce dépistage. « Que signifie, pour vous, vivre handicapé ? ». Sans qu'elles n'émettent de jugement négatif sur les couples qui décident d'avorter, 32 sur les 50 interrogées ont souligné la violence de vivre dans la peau d'un « rescapé du dépistage prénatal ». C'est notamment le cas de Jean-Christophe Parisot, myopathe, tétraplégique, et pourtant récemment promu préfet ! Il vit ces tests comme une violence à son égard. « Dire à une personne handicapée qu'il vaudrait mieux qu'elle soit morte est l'insulte suprême ! Une discrimination qui nous atteint au plus profond de notre chair. Lorsque j'étais petit, un enfant m'a dit : « Pourquoi ta mère n'a pas avorté ? »

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