Philippe Croizon : "Le Dakar, c'était juste surhumain !"

C'est un futur marié qui a bouclé le Dakar 2017. Parce que Philippe Croizon a vécu une aventure particulièrement éprouvante, frôlant le pire, songeant au meilleur, il a décidé de demander sa compagne en mariage. Souffrance sur fond de romance...

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Handicap.fr : Votre Dakar vient de s'achever. Avant d'entrer dans le vif du sujet, livrez-nous une petite info perso !
Philippe Croizon : Ah, vous êtes au courant ? Eh bien j'ai demandé Suzana en mariage après notre arrivée à Buenos-Aires.

H.fr : Pourquoi à ce moment-là ?
PC : Parce que j'ai eu une grosse frayeur pour elle sur une des étapes boliviennes ; la route qu'elle empruntait avec le camping-car -au passage, elle n'a jamais lâché le volant durant 10 000 km ; elle l'a fait aussi son Dakar- a été emportée par un éboulement. Je n'ai pas eu de nouvelles d'elle pendant des heures. Elle a dû suivre la piste qu'empruntaient les concurrents, et le trajet que j'ai parcouru en deux heures, elle l'a fait en douze. J'étais très inquiet et me suis rendu compte à quel point j'avais peur de la perdre. Lors du défilé des véhicules dans les rues de la capitale argentine, j'ai demandé à un cadreur de M6 et à mon mécano de se débrouiller pour trouver une bague et une jolie boite dans l'urgence. Ils sont allés taper aux portes des immeubles, et une dame a fini par leur donner un écrin. Le cadreur m'a prêté sa bague… Le tour était joué !

H.fr : Ah, c'était vraiment à l'arrache…
PC : Bah oui. Ensuite, ils ont mis la musique de « L'amour est dans le pré ». Suzana était assise à côté de moi, sur le capot du buggy ; j'étais exténué et j'ai un peu bafouillé : « Est-ce que tu veux bien être ma chérie ? ». Elle m'a répondu : « Je suis déjà ta chérie ! ». « Euh, enfin, ma… femme ! »

H.fr : Et qu'a répondu Suzana ?
PC : « Oui ». On a dix ans de vie commune et ça la titillait depuis déjà quelques temps. On a vécu des choses si fortes ensemble : la traversée de la manche, les 5 continents et maintenant le Dakar…

H.fr : Vous avez atterri il y a 24 heures à peine. Comment vous sentez-vous ?
PC : Un peu, beaucoup, à la ramasse ; le contrecoup est violent. J'ai vraiment encaissé durant deux semaines. Quand nous arrivions au bivouac, Cédric Duplé, mon copilote, coupait le contact, et je vous assure que je m'éteignais au même moment. J'étais ruiné ; c'est vraiment un casse bonhomme ce rallye. Ça bourdonnait dans tous les sens et il fallait que j'aille m'isoler.

H.fr : Vous qui avez affronté la Manche, puis relié les 5 continents à la nage, en termes d'intensité, à quel niveau situez-vous votre engagement physique et moral dans ce rallye mythique ?
PC : Puissance mille ! Sur le Dakar, c'est quinze jours de conditions extrêmes : chaleur, humidité, manque de sommeil, altitude... À la moindre seconde d'inattention, c'est la casse, la sortie de route. Sans compter les sponsors, les medias, la notoriété. Sur la Manche, j'étais seul face à mon défi et encore inconnu ; je n'avais rien à prouver. Sur le Dakar, je n'avais pas droit le droit à l'erreur, et des comptes à rendre à tous ceux qui m'avaient soutenu. Disons que je suis passé d'amateur à ultra-pro. Et ça vous colle une sacrée pression…

H.fr : Mais c'était pour tous les concurrents pareil ?
PC : Disons que les top number one n'ont pas vraiment les mêmes véhicules, et ils ont au moins la clim quand il fait jusqu'à 66 degrés dans l'habitacle. Ce serait comme comparer une 2CV à une Ferrari. Et puis, évidemment, je ne suis pas un pilote chevronné…

H.fr : Les contraintes du handicap et le fait d'être sanglé à mort dans votre siège moulé, sans possibilité de changer de position, ont aussi dû lourdement peser sur votre physique ?
PC : Oui, j'ai vraiment morflé. Heureusement, à l'étape, j'avais mon kiné pour me remettre tout ça d'aplomb. Pas moins d'une heure par séance !

H.fr : Vous semblez surpris d'être arrivé au bout ?
PC : J'avoue que je n'imaginais pas que ce serait dur à ce point. Avec les ennuis mécaniques et les pannes en série, sur tous nos véhicules, y compris d'assistance, on a réalisé une sacrée performance. Le doute ne m'a jamais quitté et, sur la fin, je me suis même dit que je devais arrêter pour protéger mon copilote et mon équipe car tous semblaient à bout. Lorsque, après-coup, j'en ai parlé à Cédric, il m'a répondu : « Même pas en rêve ! ».

H.fr : Vous n'étiez pas le seul participant en situation de handicap sur cette édition mais vous leur avez un peu volé la vedette…
PC : Oui, il y avait, je crois, trois pilotes paraplégiques, dont Albert llovera, avec qui j'ai discuté à plusieurs reprises. C'est un mec extra qui n'en est pas à son premier Dakar et qui le faisait cette fois-ci en camion. Mais c'est vrai que, médiatiquement, j'ai un peu dévoré tout le monde.

H.fr : Y compris la presse locale ?
PC : Oui, et pas que les medias. J'étais très surpris de voir que, par exemple en Bolivie, les spectateurs amassés le long de la route me connaissaient ; certains brandissaient des pancartes « 352 », le numéro de notre voiture. Au bivouac, le public demandait : « Il est où le pilote qu'a pas de bras pas de jambe ? ».

H.fr : Votre notoriété est repartie à la hausse, notamment sur les réseaux sociaux. Rarement, mais parfois, votre exemple agace des personnes en situation de handicap qui ne se reconnaissent pas dans vos performances.
PC : Depuis mon accident, je mène ma vie sans me poser de question. Mon exemple peut devenir un message fort et puissant mais ce qu'il faut en retenir c'est qu'on n'a pas forcément besoin de gravir l'Everest ou de faire le Dakar pour donner du sens à sa vie. Je ne fais pas tout cela pour dire que j'ai les plus grosses « coucougnettes »…

H.fr : Repartir sur un prochain Dakar, ça vous tente ?
PC : Oui car j'ai aussi pris énormément de plaisir, notamment sur une étape de nuit où je me suis senti bien, en totale plénitude ; j'avais vraiment l'impression de faire corps avec la voiture. Certes, le reste du temps, c'était dur, y compris humainement parlant. On n'a rien lâché, mais à quel prix ? Je n'ai jamais autant pleuré. Il fallait que je m'accroche… Au début, on avance au jour le jour, puis heure après heure, jusqu'à compter les minutes. Ne penser à rien d'autre que la minute qui va suivre… D'autant que cette édition était particulièrement difficile, de l'aveu même des habitués. C'était juste surhumain ! Alors le refaire, oui, mais dans d'autres conditions et avec un autre véhicule.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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